Cetait au temps ...

Benoît Hutin (1880-1914) Mort pour la France

Le soldat

 

Décidément, il était bien vrai que les jours les plus sombres commencent toujours de la même manière, par un lever de soleil !

Ce dimanche 2 août 1914, la vie de Benoit, comme tant d’autres, avait basculé lorsqu’avait retenti le « tocsin ». Le cœur serré, il avait embrassé une dernière fois Alexandrine, son épouse, et leur petite Alice âgée de six ans.

Il devait sans tarder rejoindre son unité, le 91e régiment d’infanterie, stationné à Mézières, dans les Ardennes.

Dans le train qui devait les emporter vers on ne sait quel destin, le silence régnait.

La revanche 1

Depart poilus

Bien sûr, parmi les plus jeunes, certains manifestaient de l’enthousiasme, ils partaient la fleur au fusil pour une aventure dont ils seraient les héros. C’est le privilège de la jeunesse de se croire immortel !


D’autres fanfaronnaient, pour ne pas paraître pleutres devant les camarades. Mais la plupart des hommes étaient conscients de ce qu’ils laissaient derrière eux et ce qui les attendait.

Parce qu’il fallait bien montrer de la vaillance, au moment du départ du train, tous avaient entonné la Marseillaise d’un même cœur


Le trois août, Benoît avait intégré son régiment. En jargon militaire, il « était arrivé au corps ».
Un nouveau train avait conduit les hommes, direction grand-Est, jusque Stenay. Ils étaient prêts, au plus proche du théâtre des opérations.

Une semaine plus tard, ils avaient croisé l’ennemi et engagé le combat à Mangiennes, en renfort du 130e RI. Si le sujet vous intéresse : la bataille heure par heure ICI

Première rencontre, premier succès. De quoi galvaniser les hommes qui reçurent « les plus vives félicitations du Général Rabier pour avoir brillamment rempli leur rôle de couverture ».

 

Mangiennes 10 aout 1914

Rapidement, le vent tourna.

Les Allemands, qui avaient jaugé leur adversaire, avaient riposté en concentrant d’importantes batteries d’artillerie lourde. Le 91e RI battit en retraite pour réorganiser sa stratégie et attaquer de nouveau. Ce fut au tour de l’ennemi de reculer.

Cette danse de tango mortifère dura jusqu’à mi-septembre, date à laquelle le régiment s’installa dans la forêt de l’Argonne.

combat en Foret d'Argonne 1914

 

Argonne

L’Argonne est une région naturelle constituée de collines boisées et d’étangs, à cheval sur les Ardennes et la Champagne. Sa terre, la gaize, est une roche siliceuse qui va conditionner la vie des soldats. Ce sol argileux représente à lui seul un adversaire. Par temps pluvieux, tout déplacement devient impossible. Les épais fourrés et le terrain accidenté ne permettent pas de surveiller l’ennemi.

 C’est ainsi que Benoit Hutin et ses camarades  commencèrent à creuser les premières tranchées, pour se protéger. Sans cesse, les Allemands renouvelaient leurs offensives, dans des  corps à corps à la baïonnette. Tous les hommes furent requis, la troupe comme les réservistes, chaque jour sur le qui-vive, sans aucun repos.

Début octobre, les combattants sont rassemblés au niveau de La Harazée dans l’objectif de contre-attaquer. La météo est exécrable, il pleut.

 S’il pouvait écrire, que raconterait Benoit à ses proches ? Que les « boches » — c’est ainsi qu’on les appelle depuis la guerre de 1870 — sont mieux équipés qu’eux ? Que ses camarades et lui manquent de tout, pas de toile de tente, pas de couverture, impossible de faire du feu pour se sécher ou cuisiner ? Que les premiers froids se font sentir et les empêchent de dormir ? Que le ravitaillement en nourriture, uniquement de nuit, arrive difficilement ? Et que dire du pantalon garance, rouge sang, qui fait d'eux des cibles de 1er choix !

Beaucoup d’hommes ont la dysenterie et se posent un peu partout, les cantonnements sont dans un état épouvantable, encombrés de déchets de toutes sortes. L’odeur est infecte.

Les soldats gardent tout cela pour eux. Ils n’ont pas matériellement la possibilité d’écrire et, de toute façon, la censure veille.

Tenue 1914

Que s’est-il passé le samedi 24 octobre ? Rien de particulier par rapport aux autres jours, les deux camps se font face, parfois à moins de 50 m l’un de l’autre.   Le terrain est un handicap pour des deux parties. Alors, depuis peu, l’ennemi a adopté une nouvelle stratégie : seule une guerre de sape et de mines peut faire la différence.

« Établir patiemment une série de galeries permettant de placer des fourneaux chargés d’explosifs sous les défenses ennemies, veiller à ce que l’adversaire n’entravât pas le travail et pour cela disposer des postes d’écoute aux points dangereux, puis à l’heure décidée, mettre, par un fil électrique, le feu aux fourneaux et, aussitôt l’explosion produite, donner le signal de l’assaut». Telles furent les instructions de VON MUDRA aux troupes sous ses ordres.

Rien ne prouve que ce soit ainsi que Benoît perdit la vie, pulvérisé dans une déflagration de mine ou d’obus, mais c’est fort possible.

La devise du régiment, depuis la bataille napoléonienne d'Iéna, était :

Tué oui - vaincu jamais / Sans peur et sans reproche

L'homme

Benoît est né à Bertry, rue de la Tourniquerie, en 1880, de parents à la fois petits cultivateurs et tisseurs. Dans le Cambrésis, cette double activité est fréquente et indispensable pour l’économie des ménages.

Henri Hutin et Marie Douchet s’étaient mariés en 1871 et avait eu six enfants. Benoît était le cinquième. Il n’avait jamais connu Alfred et Augustine, frère et sœur éphémères qui n’avaient pas survécu à la prime jeunesse.

Enfant il fréquentera régulièrement l’école. Il saura lire, écrire et compter correctement. C’est normal. Les lois Ferry datent du début des années 1880 et lorsqu’éclate la guerre, ce sont des hommes instruits qui sont envoyés au front. En 1914, le taux d’illettrisme en France, que l’on mesure à l’occasion du passage devant le Conseil de révision, n’est que de 4%.

Il apprend aussi à devenir un bon citoyen patriote. Dans cette troisième République, la perte de l’Alsace-Lorraine en 1870 constitue une plaie non cicatrisée. Le livre « best-seller » de l’époque est « le tour de la France par deux enfants ».

TdfCe livre d'édification patriotique vise à la formation civique, géographique, scientifique, historique et morale de la jeunesse. L’ensemble relate le périple par de multiples moyens de transport de deux orphelins, André et Julien Volden, respectivement âgés de quatorze et sept ans. À la suite de l’annexion de l'Alsace Lorraine  par les Prussiens et du décès de leur père (charpentier lorrain et veuf de bonne heure), ils quittent leur village et partent à la recherche d'un oncle paternel habitant à Marseille à travers les provinces françaises

Benoît, comme la plupart de ses camarades garçons, recevra une préparation militaire. « Bien s’instruire pour mieux servir » telle est la devise. Cours de gymnastique et de tir sont au programme.

Lorsque, à vingt ans, il se présentera devant le conseil de révision en vue du service militaire, sa fiche matricule en témoigne, son statut d’instruction indique « exercé ».

Le jeune homme attendra 1902 pour être incorporé, son frère aîné Célestin étant déjà soldat en 1900. Il fera deux ans d’armée à Givet dans les Ardennes.

The old occupation of tailleur d habits or tailor in new france

 

Dans ces familles, on est tisserand de père en fils, le métier s’apprend dès l’enfance.

Il n’est pas impossible d’avoir son propre métier à tisser vers 12/13 ans et de disposer d’un apprenti à peine plus jeune. Le Pasteur Pruvot nous l’a longuement décrit dans son journal.

Que Benoît soit renseigné comme tisseur, aussi bien dans son acte de mariage que dans l’acte de naissance de sa fille, n’a donc rien d’extraordinaire. Pourtant, sa fiche militaire indique qu’il serait tailleur! Sous-entendu tailleur d’habits. C’est un métier très technique, qui ne s’improvise pas, a-t-il fait son apprentissage chez un artisan du village?
 

En septembre 1906, il épouse Alexandrine Hennino, d’un an son aînée, fille de Célestin, le boucher et Clémentine Taine. La noce est endeuillée, en effet Benoît a perdu son jeune frère, Honoré, 21 ans, un mois plus tôt ; et Alexandrine,  sa sœur Célestine, 23 ans, en février de cette même année.

La jeune femme exerce la profession de…couturière ! Avouez que cela ne pouvait pas mieux tomber. Ils ont tout en main pour se construire une vie heureuse. Ils habitent sur la place du Riez. C’est là que naît leur fille Alice deux ans plus tard.

Le destin en décidera autrement.

La disparition de Benoît sera officiellement actée en 1917 et un secours de 150 F sera attribué à son épouse en date du 30 avril. La fiche matricule du soldat indique qu’elle est alors domiciliée à Puteaux. Nous ignorons dans quelles circonstances, et combien de temps, elle est restée en région parisienne.

Les poilus de l argonne roche fortune bpt6k385125s

À partir de septembre 1914, les batailles en Argonne font rage et les combats atteignent une intensité incroyable. La zone devient le théâtre d’assauts tout aussi sanglants qu’inutiles. Elle y fait des milliers de victimes.

Le chagrin s’abat à nouveau sur cette famille : Alexandrine perd son frère Philippe, en février 1915, également à Vienne le Château.

Pour compléter ce triste tableau, un autre enfant de Bertry mourra le 24 octobre 1914, à La Harazée, lui encore soldat du 91e RI. Il s’agit d’Alfred Taine (1892-1914)

Par un jugement du 18 juin 1920, la date de décès de Benoît est officiellement fixée au 24 octobre 1914. La petite Alice sera déclarée pupille de la nation.

La jeune fille deviendra modiste. Elle s'unira en 1928, l’instituteur Paul Lansiaux. Ils auront deux fils : Paul, mari de Jeannine Louvet et Guy, époux de Nicole Flament.

Un peu de généalogie, tous cousins !

S’il était besoin de justifier la présence de Benoît Hutin dans mon arbre et sur mon blog, je répondrais que nous avons 67 ancêtres en commun, je ne vais donc pas vous assommer avec ces détails.

Célestin, son frère aîné, se mariera et s’établira à Troisvilles. C’est le grand-père des bertrésiens d’adoption, Alfred et Rolande Hutin.

Alfred, le puîné, épousera Céleste Seignez et deviendra le grand-père de Renée Leduc, épouse de Joseph Maudens.

Hutin douchez

Hennino famille

 

Pour ce qui est de la famille Hennino, Alexandrine et moi comptons 57 ancêtres en commun.

De plus, ses parents eurent 14 enfants, aussi je ne vais pas trop m’étendre, au risque de perdre mon lecteur. J’écrirai un article spécifique à cette famille ultérieurement.

Sachez simplement qu’un de ses frères, Émile, épousa Marie Catherine Basquin, ils eurent un fils, Robert Hennino, que les bertrésiens ont bien connu, ainsi que ses enfants.

Vous pouvez consulter l’arbre généalogique détaillé ICI.

 

 

Mes sources

Je remercie Thérèse Lansiaux, épouse Coet, qui m’a transmis la photo de son arrière-grand-père.

Reconstitution du parcours militaire de Benoît Hutin grâce à :

  • Sa fiche matricule
  • Le journal de marche du 91e RI
  • Divers témoignages écrits de «poilus».
  • Hutin tampon

 

 

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Date de dernière mise à jour : Jeu 08 août 2024

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