Albert Vitrant (1882-1915)
Un brave !
Albert est un vrai brave, ou peut-être un peu forte tête qui s’oppose à ses parents, toujours est-il qu’à 19 ans il intègre l’armée comme engagé volontaire pour trois ans, le 21 octobre 1901. Très rapidement, il grimpe dans la hiérarchie des hommes de troupe puisque le voilà caporal, moins d’un an plus tard, en septembre 1902.
Puis, patatras, le voilà cassé de son grade par le Général commandant de la 2e brigade d’infanterie, notre homme redevient 2e classe en juin 1904 . Sa fiche matricule ne précise pas quelle faute il aurait pu commettre. Toutefois, il termine son temps normalement et sort en octobre, certificat de bonne conduite en poche.
En 1906, il épouse une bertrésienne, Antoinette Pruvot, cousine germaine de mon grand-père Lenglet. Une petite fille naîtra deux ans plus tard.
La dégradation militaire est une peine infamante appliquée lors d’une cérémonie humiliante. On a tous en tête l’exemple de la dégradation du Capitaine Dreyfus. Quelques recherches sur le sujet m’ont permis de découvrir une recrudescence de ces sanctions, lors de conseils de guerre dans les années 1902/1904, surtout dans le Nord. Dans un contexte tendu sur fond d’affaire Dreyfus et de conflits autour de la laïcité, le gouvernement faisait de plus en plus appel à l’armée pour des opérations de maintien de l’ordre. Sommés de rétablir l’ordre devant des églises barricadées les hommes se dérobent en prétextant des irrégularités commises lors de la réquisition, ou en proclamant haut et fort leurs convictions religieuses.
Le temps a passé, et son statut militaire a évolué, d’abord réserviste d’active il sera versé dans la territoriale en octobre 1914 après qu’il aura rejoint son unité dès le 3 août, lors de la mobilisation générale de la Grande Guerre.
Porté disparu le 26 avril 1915 aux Eparges, son décès sera officialisé par jugement déclaratif du 30 juin 1921. En attendant, l’armée verse à la veuve une allocation de secours de 150 frs en avril 1919.
Hélas Antoinette Pruvot n’a pas survécu à la disparition de son mari. Elle est décédée depuis le mois d’octobre précédent. Leur fille sera élevée par la sœur d’Albert, Céline Vitrant épouse de Victor Canonne, instituteur à Bertry. Elle épousera Eugène Dhirson, de Grougis en 1929.
Les Eparges, la colline maudite.
« Ce que nous avons fait, c’est plus que ce que des hommes pouvaient faire et, pourtant, nous l’avons fait. »
Maurice Genevoix – Ceux de 14 –
La crête des Éparges est située à une vingtaine de kilomètres au sud-est de Verdun, en bordure des Hauts-de-Meuse.
Au loin, vers l’est, la ligne bleutée de la Moselle, Allemande en 1914. En contrebas, la plaine de la Woëvre trouée d’étangs. Au sud, un long ruban de villages alignés au pied des coteaux boisés.
Rien ne ressemble moins à l’enfer que cette colline, et pourtant !
50000 morts pour une colline !
Dès 1914 l’ennemi s’en empare, les Français n’auront de cesse de chercher à reconquérir ces sommets stratégiques. Quel qu’en soit le prix. Ce sera le début de folles offensives de février à avril 1915. De combats au corps à corps, à la baïonnette et au couteau, à la grenade et au lance-flamme. Un champ de bataille corrompu par la ferraille, la chimie des explosifs, les immondices, les cadavres empilés, mutilés, pourrissants, le sang et les sanies. Les combattants des deux camps qui s’écharpent s’étripent dans la boue froide et gluante, lors d’une bataille obscure aux enjeux incompréhensibles.
Les affrontements continueront épisodiquement jusqu’en 1917. Là-bas le sol a été si dévasté qu’il est toujours classé en « « zone rouge ». Du sommet de la crête, la vision du village des Eparges, en contrebas, nous rappelle le terrible destin de ses habitants déportés en Allemagne en 1914. Une poignée seulement est revenue parmi les ruines, en 1919, au milieu de champs rendus incultivables et aujourd’hui peuplés de grands pins noirs.
Les combats des Éparges furent un des épisodes les plus atroces d’une guerre horrible. Maurice Genevoix est celui qui l’a le mieux dépeint dans son œuvre « ceux de 14 ». En voici un court extrait.
769 - 20 février
Et toujours les mêmes flaques jaunes, les mêmes épaves innommables, les mêmes souillures, la même misère poisseuse, tachée de boue, rongée de boue. Et la pluie qui ruisselle là-dessus ; et les obus qui tombent toujours, avec les mêmes sifflements, les mêmes chuintements, les mêmes explosions, les mêmes colonnes de fumées sombres; et les shrapnells qui tintent là-bas, qui poursuivent depuis cinq jours, le long des routes qui s'éloignent, les groupes chancelants des blessés... C'est beau, tout ça ! Oh! c'est du propre...
Genevoix s’en est sorti.
Les restes de 10 000 d’entre eux sont enfouis à jamais dans les entrailles de la colline maudite.
Quel gâchis, quelle perte immense et irremplaçable pour notre pays, que tous ces destins brisés !
Dérisoire consolation, citation à titre posthume parue au JOURNAL OFFICIEL du 03 janvier 1924 : Soldat brave et dévoué.Tombé glorieusement pour la France, aux Eparges, le 26 avril 1915, en se portant à l'attaque des positions ennemies. Croix de guerre avec étoile d'argent. Un joli ruban au rouge du sang versé et au vert de l'espérance.
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Date de dernière mise à jour : Mer 15 mai 2024
Commentaires
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- 1. Jean-Luc Marcel DUMOULIN Le Mar 14 mai 2024
Merci Dominique pour ce récit, il ne faut pas les oublier ceux de 14, comme tous les autres d'ailleurs qui ont donné leur vie pour leur pays.
Il est bon aussi de penser à nos blessés de tous les théatres d'opérations contemporains, aidons les à notre manière et pour celà il y a le Bleuet de France entièrement dédié à nos militaires blessés ou victimes de SPT et qui luttent pour retrouver une vie "normale", pour eux-mêmes et aussi pour leurs familles.
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