Mulquinier
Article proposé par Olivier Lefort:
Les Lefort travaillaient dans le textile du lin : mulqueniers pour les hommes et fileuses pour les femmes.
Quasiment tous les descendants du couple, quels que soient leurs patronymes, installés au Cambrésis dans les villages de Montigny et alentours travaillaient dans le tissage.
Cette activité remonte très vraisemblablement à plusieurs centaines d’années pour certaines branches de nos aïeux. Par exemple, les Chambellan, dont nous descendrions si la filiation des drapiers , était confirmée à Bourges dans les années 1300-1585.
Plus précisément, les hommes étaient dits « mulqueniers » et les femmes fileuses.
Les mulqueniers se rattachaient aux tisserands de toile à partir de lin, de chanvre ou de coton. Ils se différenciaient des tisserands de laine.
La « navette », à savoir le morceau de bois allongé évidé en son centre pour y placer la canette (ou bobine) de fil, était la plupart du temps l’emblème de leur profession.
Dans les temps plus anciens, les mulqueniers étaient une corporation. Hiérarchisée comme toute corporation, elle comprenait apprentis, compagnons, maîtres et était gouvernée par des maïeurs. Le maïeur était le maître qui, nommé par le magistrat, était chargé de la police et de l’administration du corps de métier.
A Cambrai, la corporation des mulqueniers, l’un des quatre métiers de la ville de Cambrai, n’apparût dans les ordonnances que vers 1407. Mais il en était déjà fait mention vers 1275.
La tutelle était exercée par les rois de France et d’Espagne compte tenu de la possession de Cambrai de manière alternée. Après le traité de Nimègue, et par un arrêt du 24 juillet 1731, le roi Louis XIV, en usant de son droit de tutelle sans beaucoup d’égards pour les coutumes locales, provoqua de vives contestations. La conséquence en fut une migration des métiers de Cambrai vers les campagnes et plus particulièrement tout au long de la route qui menait aux Pays-Bas. En effet, le long de la rivière de l’Escaut poussait du lin et celui-ci était considéré comme le plus beau et le plus convoité par les mulqueniers.
Le mot « mulquenier » a évolué. Avant le 16e siècle, était utilisé le terme de « passementier » qui était la personne fabriquant un tissu fait de crins et de chanvre ou de lin. Il semblerait que la plus belle période de prospérité des mulquiniers fut la seconde moitié du 18e siècle. Avant la réunion du Cambrésis à la France, les mulqueniers cambrésiens envoyaient leurs produits presque partout en Europe. Mais par sa position même de neutralité, la corporation cambrésienne rencontrait des entraves quand les frontières de la France se fermaient ou quand les Hollandais, jaloux de protéger leur industrie, empêchaient le commerce des toilettes avec leur pays. En effet, ce négoce était aussi appelé commerce de toilette.
Par rapport à la laine ou au coton, la préparation du lin était relativement délicate. Mais la qualité des pièces de lin récompensait largement le travail des tisserands. Les tiges de lins étaient liées, après la récolte, en bottes comme les gerbes de blé, puis mises à sécher. Le fil de lin est issu du pourtour de la tige et non de l’intérieur. Il fallait donc arracher à la main le lin sur toute sa tige. Ensuite, les tiges étaient plongées dans de l’eau tiédie par le soleil et maintenues au fond par un poids car elles étaient très légères. Le principe était de les « rouir », c’est-à-dire entamer une décomposition afin d’attendrir l’écorce. Une fois le lin roui, lavé et séché à nouveau, les fibres étaient broyées parfois même sur une pierre avec un maillet et, plus tard, avec l’aide d’un bras en bois. Les tiges étaient alors passées dans un peigne d’acier afin de séparer les capsules et ôter les graines. Elles étaient peignées afin de séparer la filasse. Le linier plaçait la botte sur la « planche à écanger », une planche en bois verticale, lestée au pied, sur laquelle on plaçait le lin à couper. Il employait « l’écouche », une lame en bois dur au tranchant émoussé pour cisailler la filasse.
Les fibres de lin étaient à nouveau peignées à l’aide de peignes en bois à piques en fer, ou séran à pied muni d’une couronne d’aiguilles. Le linier séparait les brins courts des brins longs. Les brins courts étaient recyclés pour fabriquer l’étoupe des bateaux. Les brins plus longs, d’environ 70 cm, étaient attachés en écheveaux pour être vendus.
Une seconde famille de métier entrait alors en jeu afin d’élaborer le fil.
Ce travail de filage était généralement dévolu aux femmes. La fileuse préparait la filasse en attachant une poignée à sa ceinture. Elle la pliait ensuite pincée par pincée en la déployant en éventail couche sur couche sur ses genoux, en allant de droite à gauche. Quand elle avait disposé la filasse en éventail, elle l’enroulait sur une quenouille et la liait avec un ruban. Elle était alors prête pour le filage. Elle utilisait pour cela une quenouille. La fileuse étirait le lin d’une main et faisait tourner le fuseau de l’autre pour tordre le brin. Elle mouillait de sa salive le brin. Ensuite fut mis au point une technique de filature mouillée qui permit de filer des fils préalablement trempés dans l’eau très chaude afin de ramollir leur gomme naturelle. Le filage avait lieu souvent le soir à la veillée. Pour celles qui en faisaient leur métier, le travail était fort mal rétribué ; environ 20 centimes par jour au 19e siècle pour 10 heures, debout, et pour n’obtenir qu’une livre de fil à la fin de la journée.
Ces artisans ruraux passaient entre 10 et 14 heures par jour à pousser la navette de leur métier à tisser qui permet de maintenir les fils de la chaine bien tendus et à égale distance. Les hommes tissaient les pièces le plus difficiles, tels les draps, linons et les fines toiles de baptistes, destinés à l’exportation ; les femmes et les enfants s’occupant des chiffons et mouchoirs. Etaient également tissés les grossières étoffes de chanvre qui servaient aux usages journaliers de la maisonnée ou les draps de laine destinés à faire les « patelots » et les « brayes ».
En résumé, toute une chaine de métiers s’articulait les uns aux autres. Ainsi, après la récolte dans les champs du lin ou du chanvre, les fils en étaient rachetés par le « filaqué », « marchant de filets » qui les livrait aux fileuses. Celles-ci, avec leurs rouets ou cariots, transformaient cette matière en fils souples, fils qui constituaient la trame et la chaine formée par l’ourdisseur, et qui serviraient au tisseur à réaliser son étoffe.
Pour autant, une fois sorties du métier à tisser, les toiles restaient impropres à la vente car encore imprégnées des colles qui permettaient au fil de résister aux tractions du tissage. Elles devaient dont subir un long processus d’ennoblissement. Blanchiment, teinture, impression, apprêts et pliages donnaient un beau toucher et un bien meilleur aspect. Ainsi, la toile était, par exemple, confiée au moulin à foulon pour y être plongée dans des bains d’argile spéciale et longuement battue par de lourds marteaux. Elle acquérait ainsi une solidité incomparable.
Une fois la toile terminée, elle était portée au maitre mulquenier qui la vérifiait, l’estampillait et la livrait aux négociants de Cambrai ou de Valenciennes.
A Quiévy, les mulqueniers étaient constitués en confrérie et avaient pour sainte patronne Sainte Véronique, dite également « sainte Vérone ». La mulquinerie de Quiévy et des villages alentours resta essentiellement le travail du lin, même s’il y eut quelques tisseurs de coton. Ainsi, les mulqueniers avaient même le privilège de fournir, avant la guerre de 1914, de baptiste la cour impériale de Russie.
La plupart des tisserands étaient des artisans sédentaires qui travaillaient dans leur propre atelier. Ils livraient généralement le samedi ou le dimanche matin, avant la messe, les pièces dans des brouettes à bras qui pouvaient atteindre jusqu’à 125 kg. Leurs ateliers étaient situés en sous-sols. Le métier était installé dans la cave. Seul un soupirail laissait pénétrer la lumière et les bruits du village.
Il existait également une activité domestique de tissage. Les paysans filaient et tissaient chez eux à l’aide de métiers à bras.
Cette occupation était plus rémunératrice et moins dure que la culture des champs. Mais, au fil de la mécanisation, les ouvrier tisseurs commencèrent à travailler dans les usines voisines où un tissage mécanique avait l’avantage d‘offrir une occupation continue.
Sur le plan technique, les métiers à bras restèrent largement employés jusqu’en 1820. Puis les métiers « Jacquard » firent leur apparition. Joseph-Marie Jacquard (1752-1834) inventa ce métier car il déplorait la dureté du métier et, notamment, le travail des enfants et jeunes hommes qui devaient tirer les ensembles de cordes pour faire remonter les fils. Le travail était épuisant et provoquait des malformations par les positions que les tireurs devaient adopter.
Plus globalement, les conditions de travail étaient souvent difficiles sans même évoquer les accidents dans les industries textiles, avec des bras arrachés notamment.
En 1884, le métier à tisser mécanique permettait déjà de produire 12 fois plus qu’un tisserand à la main.
Une telle innovation remit de fait en cause toutes les structures anciennes et notamment la dissémination géographique des différents métiers comme celle des différentes étapes de la production. Ainsi, à partir du 18ième siècle, la production commença à se concentrer dans des bâtiments industriels dont il reste encore quelques modèles aujourd’hui, avec leurs larges baies et leurs combles ouverts.
Le travail y était séparé par étages, les foulons au rez-de-chaussée à proximité des cours d’eau et, dans les étages, le bobinage et l’ourdissage qui nécessitaient de bons yeux. Les filatures elles-mêmes étaient de longs bâtiments à deux étages éclairés par de grandes baies. De fait, la lumière conditionnait la durée du travail.
Vers 1900, sauf exception, le tissage était devenu une activité mécanique concentrée dans les mains de riches industriels. Il y eut un petit retour en arrière après la guerre de 1940 et certains acquirent des métiers mécaniques leur permettant de travailler à domicile.
Roger, né en 1938, se souvient encore du métier à tisser qui se trouvait dans la cave de son grand-père, Jean-Baptiste Lefort, à Quiévy, avant le décès de ce dernier en 1948. Avec Jean-Baptiste s’éteignit une tradition familiale multiséculaire.
Date de dernière mise à jour : Jeu 22 juil 2021
Commentaires
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- 1. Jean Marie BANSE Le Ven 18 oct 2024
Bonjour et merci pour toutes ses précisions. En réalisant mon arbre généalogique; je me suis aperçu que de nombreux descendants étaient soit mulquiniers, soit fileuses. Tous étaient originaires du Cambrésis et quant à mon père, natif de Beauvois en Cambrésis, il fut tisseur à domicile avec 4 métiers jusqu'en 1969. -
- 2. Leclercq Le Sam 19 déc 2020
Salut Dominique, je viens de voir que le mot mulquinier avait une définition autre que celle que je pensait, à savoir conducteur de mules, on en apprend tous les jours, il y en a dans la généalogie de Denise et dans la mienne.
La bise.
Momo
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