Le Pendu, crime à Neuvilly
Un cold case
« Monseigneur l'astre solaire Comme je ne l'admire pas beaucoup M'enlève son feu, oui mais, d'son feu, moi j'm'en fous J'ai rendez-vous avec vous »
Brassens chante en sourdine. Dehors, effectivement l’astre solaire boude. Assise devant mon ordinateur, les yeux rivés sur mon pot à crayons « Portoloin » je m’interroge sur ma prochaine destination. Avec qui ai-je rendez-vous ?
Ce Rendez-vous Ancestral mensuel, je le saurai postérieurement, m’emmènera dans mon Cambrésis natal, à Troisvilles en 1906.
Je ferme les yeux et me laisse emporter…
Le Pendu
Je reprends pied, me semble-t-il, au « milieu de nulle part » à la croisée de quatre chemins. Que fais-je en un lieu éloigné de tout village ? Seules deux maisons aux persiennes closes se dressent face à face à proximité du carrefour.
Heureusement pour moi, un cultivateur est occupé à étaler du fumier dans un champ à proximité.
Je m’approche pour l’interroger mais il m’apostrophe, devançant ainsi mes question :
« Alors, vous aussi, vous êtes venue pour l’affaire !
C’est pour le journal ?
Quelle histoire ! »
Je me garde bien de le détromper et me glisse, sans vergogne, dans la peau de reporter d’un jour, je sors de mon sac, un calepin un crayon et l’invite à tout me raconter.
Nous sommes au lieu-dit « Le Pendu » au carrefour entre d’une part l’ancienne route impériale, route nationale de Cambrai à Le Cateau d’autre part le chemin de Troisvilles à Neuvilly.
L’origine du nom reste obscure, on se trouverait à l'endroit du terrain dit " la justice", où se déroulaient les exécutions capitales. L’imaginaire populaire y a ajouté une légende abracadabrantesque mêlant l’histoire au puissant fief de Rambourlieux dont l’existence est attestée depuis 1439.
Il n’empêche, continue mon interlocuteur, que ce lieu a quelque chose de maudit : un jeune homme nommé Oblin fut assassiné en sortant de cette maison, il y a une vingtaine d’années. Son meurtrier n’a jamais été retrouvé.
La victime
La maison est une ancienne ferme dont une partie est louée à usage d’estaminet. Cette fois c’est Léonie Petit, l’ancienne tenancière du cabaret, qui a été sauvagement agressée et détroussée... Après avoir cédé le fond de commerce, la rentière s’était retirée dans l’ancienne partie de l’habitation à usage de ferme.
La vielle fille, dont tout le monde connaissait la richesse, passait pour très économe, pour ne pas dire avare. Elle gardait toujours près d’elle une bourse en toile contenant près de 1000 Francs, placée dans son panier à ouvrage.
La victime avait été aperçue, le lundi après-midi, pour la dernière fois par ses voisins, le couple Basquin-Lemaire, débitants du cabaret situé en face de chez elle, établissement où elle avait l’habitude de se rendre chaque soir pour une visite amicale.
Inquiets de n’avoir pas vu leur voisine depuis la veille, ils se décidaient à prévenir le neveu de Léonie : Alfred Oblin. Ce dernier, se rendit au domicile de sa tante, qu’il découvrit morte, baignant dans une mare de sang, tuée par un instrument contondant. Les meubles avaient été fouillés, l’argent dérobé. Des traces de lutte témoignaient de la violence de la rencontre. Il ne semblait pas faire de doute que le vol était le mobile du crime.
Le vendredi 12 janvier, deux autres de ses neveux : Victor Seigneur et Emile Rousseaux, étaient allés en mairie de Neuvilly déclarer officiellement le décès de leur tante. La date exacte n'était pas précisée, seule la mention d'avant veille fait référence au mercredi 10, mais est elle fiable ?
L'enquête
La pauvre victime avait été inhumée le samedi suivant son assassinat, presque tout le village avait tenu à l’accompagner à sa dernière demeure.
L’enquête piétinait. Les commentaires allaient bon train. Les soupçons empoisonnaient l’atmosphère, se portant indifféremment sur les uns ou les autres.
Une cariole avait été vue à proximité des lieux du crime mais cette fausse piste avait rapidement fait long feu.
Le témoignage d’un marchand de frites de Le Cateau avait été pris au sérieux : il avait servi une portion de frites à un individu qui portait à la figure des traces de griffes récentes. Le client avait manifesté une vive impatience à être servi rapidement.
Le commerçant n’avait pas su donner une description précise de l’inconnu, hormis le fait qu’il était mal vêtu. Il ressemblait à un chemineau errant en quête de travail comme il en existait beaucoup.
Un mois plus tard, la gendarmerie continue ses investigations sur la base de ces maigres indices, mais mon interlocuteur, le paysan, ne croit plus beaucoup au succès de l’enquête maintenant qu’un mois est passé.
Je le remercie vivement de toutes ces informations et lui souhaite bon courage, pour la fin de sa journée, d’autant qu’il commence à pleuvoir.
- « Ah ma pauvre dame, ce n’est plus comme avant ! le temps est tout détraqué de nos jours. Tenez, début janvier, au moment du crime il faisait une douceur incroyable. On se serait cru au printemps. Après ça on a eu fin janvier un froid à couper au couteau avec des pluies de glace, qu’on pouvait à peine marcher. Et maintenant voilà-t-il pas qu’il pleut presque tous les jours comme vache qui pisse ! C’est la faute à tous ces fadas dans le ciel avec leurs aéronefs. »
Je réitère mes remerciements pour sa collaboration et m’empresse de retrouver le présent, j’ai tant à faire.
Epilogue, informations et références
Pour mémoire le Rendez-Vous Ancestral est un exercice littéraire qui permet de mêler fiction et réalité. Si les dialogues et les sentiments prêtés aux protagonistes sont issus de mon imagination, les références historiques sont réelles et les données généalogiques exactes.
Le crime :
Je n’ai retrouvé aucune trace dans la presse postérieurement aux faits ci-dessus énoncés, je pense donc que cette affaire n’a jamais été élucidée. Si toutefois il en allait autrement, j’espère que la lecture de l’histoire rappellera des souvenirs à des internautes qui voudront bien m’en faire part.
Afin de mieux partager avec vous ce voyage dans le temps :
C’est l’occasion pour moi de ressortir la vieille carte de la région que mon grand-père avait dans son paquetage quand il fit l’armée en 1920. J’y découvre que la RN39, s’appelait alors route de Montreuil-sur-mer à Mézières.
J’en profite également pour étudier la Monographie de Troisvilles, réalisée en 1900 par l’instituteur en place Henri Constant FAREZ.
J’y apprends que la petite commune voit sa population décroitre régulièrement depuis une vingtaine d’années. Les familles de tisseurs quittent le village et leur travail à domicile pour se fixer dans des localités où il existe des tissages mécaniques, notamment Caudry. Dans ces usines, même si le salaire est moins élevé, les ouvriers ne sont plus exposés aux pertes de temps et aux périodes d’incertitude que représente la recherche de travail à façon.
L’instituteur constate que « la population locale est globalement de bonne constitution. Exempts, pour la plupart, d’infirmités et maladies héréditaires, les habitants doivent leur bonne santé au climat particulièrement sain et à l’observation d’une hygiène assez bien comprise »
La Monographie de Neuvilly est également disponible sur le site regroupant les communes du Canton de Le Cateau. Il est très interessant de la lire également, ne serait-ce que pour comparer les deux visions des instituteurs sur des villages voisins
La presse :
Deux journaux évoquent le crime : Le réveil du Nord des 12 et 15 janvier 1906 avec force détails. et le guetteur de Saint Quentin du 19 janvier 1906, beaucoup plus sobre.
Les articles de presse ont servi de base à cet article. Il sont visibles via le site de presse de la BNF : RETRONEWS
L'autre affaire :
J'ai bien tenté de trouver qui était la victime précédente, le jeune homme Oblin assassiné au même endroit vingt ans plus tôt. Sans date précise cela revient à chercher une aiguille dans une botte de foin, tant il y a de Oblin à Troisvilles. Là encore, je serais heureuse d'obtenir l'information par un internaute ami.
Pour situer ses neveux et augmenter mes chances d'avoir des informations complémentaires :
Elie Petit :
Le couple Petit x Preux a quatre enfants dont une fille Léontine, l'épouse d'Alfred OBLIN, celui qui découvrira sa tante par alliance.
Pierre Petit :
Le couple Petit x Baudhuin aura deux filles Léa et Léonie qui épouseront respectivement Emile Rousseaux et Victor Seigneur, les neveux par alliance qui iront déclarer le décès en mairie de Neuvilly. Le couple Léonie Petit x Victor Seigneur, semble avoir quitté Troisvilles, je n'ai pas retrouvé leur date de décès. Les dernières informations que je possède sur Victor Seigner son sa participation à la première guerre mondiale, fait prisonnier à Maubeuge, envoyé en captivité à Munster et libéré à la fin de la guerre. Il est toujours en vie en 1928.
Remerciements
Un grand merci à toutes les personnes de Troisvilles et environs qui m'ont aidée, ont cherché à me procurer une photo ancienne de l'Auberge du Pendu. Les recherches n'ont pas encore abouti, mais rien n'est perdu.
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Date de dernière mise à jour : Ven 17 mai 2024
Commentaires
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- 1. Francois LENGLET Le Mer 21 fév 2024
Plus que passionnant, je lis bien tardivement ton article sur "Le Pendu, crime à Neuvilly" . Je suppose que tu as lu mon propre article sur la légende du Pendu que l'on retrouve d'ailleurs dans la Monographie de Troisvilles dont je possède un exemplaire.
Par contre, à propos de ce crime de 1906, j'ai un souvenir personnel: j'ai parfaitement connu Emile Rousseaux et Léa Petit. Ils possédaient une ferme à Troisvilles, rue du Villers tout près de l'église (aujourd'hui disparue et transformée en terrain de sport) . Au début des années 50, ils avaient arrêté l'exploitation et loué leur ferme à notre cousin Léonce Oblin et à sa femme Marie Céline (la maman de Marc et Francis récemment décédé). Je passais souvent du temps dans cette ferme : soins aux vaches et lapins, ... Mais surtout, c'est chez eux que j'ai découvert la télévision....une des premières à Troisvilles. Photos à venir...
François-
- Dominique LENGLETLe Ven 23 fév 2024
Merci beaucoup François pour ce souvenir vivant.
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- 2. Christiane Bruneau Le Sam 18 fév 2023
quel bel article et quelle enquête ! Bravo -
- 3. Catherine COURAGEUX Le Sam 18 fév 2023
Bravo Dominique ! J'aime beaucoup. Tu racontes ton histoire et reviens toujours vers les faits. Le temps passé aux recherches doit être conséquent. Je me suis faites "petite souris" pour assister à ta conversation. La prochaine fois, choisi un endroit plus protégé du vent, j'ai eu très froid ! -
- 4. Jean-Luc DUMOULIN Le Sam 18 fév 2023
Excellent récit et fort bien documenté. Comme du parlait de "Cold Case", il serait intéressant, grâce à l'informatique qui s'est bien développée et sur de nombreux sujets, de revenir qur quelques affaires classées, pour parler français.-
- Dominique LENGLETLe Dim 19 fév 2023
Je sens une petite pointe de reproche quant à l'anglicisme "cold case" mon ami cousin gendarme. plusieurs explication : je fus une vraie fan de la série télévisée. C'est un terme plus facile dans mon moteur de recherche que "affaire classée". Et puis affaire classée, pour moi fait référence à la célèbre chanson des amants de St Jean : C'est du passé, n'en parlons plus !
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