Augustin Lefort x Audille Gave
Les mariés de mai.
Mai est enfin arrivé, riche de promesses, il tourne le dos à la grisaille, il nous entraîne, dans la tiédeur des jours allongés, vers la liberté bientôt retrouvée. Je rêve d'évasion. Détendue, relaxée, je suis prête à partir pour notre rendez-vous ancestral. Qui de mes aïeux vais-je rencontrer ? A quelle époque vais-je être transportée ? Je ferme les yeux.
Me voilà à Montigny, ce petit village du Cambrésis, berceau d'une branche maternelle : celle de ma grand-mère, Marie-Antoinette Lefort. le soleil n'est pas encore très haut dans le ciel, il n'est probablement pas plus de 9 heures du matin. Une foule joyeuse est rassemblée devant devant la mairie, dont la porte est ouverte. Je m'approche et jette subrepticement un œil à l'intérieur. J'ai juste le temps de percevoir quelques bribes d'une phrase qui se termine par "unis par le mariage".
J'assiste donc à une noce. Mais qui cela peut-il bien être ? Je ne reconnais personne, j'ai même peine à déterminer qui est qui ? je distingue bien la mariée , les cheveux ceints d'une couronne de fleurs comme c'est de mode depuis quelques décennies. Mais point de robe blanche, cette coutume n'arrivera qu'en toute fin du siècle.
Pour les autres participants, c'est le flou absolu. Mais pas question d'interroger qui que ce soit. J'ai une idée, je profite de l'inattention générale, tout le monde est occupé à organiser le cortège, je me glisse en catimini dans la maison commune, et je photographie l'acte de mariage sur le registre resté ouvert **.
En ce jeudi 12 mai 1864, s'unissent Augustin LEFORT et Audille GAVE, les grands-parents de ma (future) grand-mère.
Se marier en mai, et qui plus est un jeudi, voilà qui n'est pas commun !
C'est faire fi d'un certain nombre de conventions et de superstitions.
En effet, pour les Catholiques, le mois de Mai est officiellement le mois consacré à la Vierge Marie, mère de Jésus, et ce depuis 1724. C' est une invitation pour les croyants catholiques à se rapprocher de Marie par la prière, et il n’est donc pas question pour eux de se marier et de faire « de l’ombre » à la Vierge qui est célébrée tout au long du mois, au risque d’être considéré comme « mauvais chrétiens ».
Ces quelques dictons sont là pour le rappeler :
« Noces de mai ne vont jamais »
« Méchante femme s’épouse en mai »
« Mariages de mai fleurissent tard ou jamais »
« Mariage au mois des fleurs, mariage en pleurs »
Quant au jeudi une superstition voulait qu'en cas de mariage ce jour là, avant la fin de l'année l'un des mariés était dans la tombe. Une autre croyance prédisait que le mari serait rapidement trompé ( un "jean-jeudi" est synonyme d'un cocu).
Je comprends pourquoi j'ai eu peine à poser des noms sur les visages. C'est en raison de la différence d'âge des mariés. Audille a tout juste 20 ans, alors que le nouveau marié est âgé de 34 ans. Un peu plus d'une décennies séparent le gendre et le beau-père.
Le cortège se forme, il prend la direction de l'église, la mariée et son père en tête, comme si l'union n'avait pas eu lieu. Depuis la Révolution, par la loi du 20 septembre 1792, le mariage, soustrait à la juridiction de l’Église, est devenu un contrat laïc conclu devant un officier civil. Le Code Napoléon en a fixé les grandes lignes : Dès lors que les futurs mariés ont échangé leurs consentements mutuels devant l’officier, ils sont déclarés unis au nom de la loi. Mais dans les campagnes, la tradition perdure, les jeunes ne seront officiellement mariés que lorsqu'ils se seront dit "OUI" devant Dieu.
S'agit-il d'un mariage d'amour, ou comme l'on dit chez nous a-t-on "marié des hectares" entre deux familles de petits cultivateurs ?
Augustin est fils unique, il n'a que huit ans lorsque sa mère, Marie Anne LEVEQUE décède le jour de Noel 1838. Son père, Auguste ne se remariera pas. Aujourd'hui c'est un vieillard de 72 ans qui marie son fils. Cela pourrait expliquer ce mariage tardif.
Coïncidence ou pas, j'aurais tendance à penser que non, ses parents s'étaient mariés il y tout juste 35 ans, un 12 mai également.
Audille est la deuxième enfant de la fratrie qui en compte six. Son prénom est rarissime, de 1600 à nos jours la statistique Geneanet donne 0,0005 % de porteuses, avec une pointe à 0,0025 vers 1860, cette "fulgurante progression" s'explique probablement par le fait qu'elle a aussi appelé sa fille Audille. L'anticonformisme s'arrêtera là. A la génération suivant ma grand-tante s'appellera Odile.
Je me mêle à la foule des nombreux convives, les deux promis étant natifs du même village, aucun des cousins et cousines n'a voulu manquer une pareille fête.
Nos mariés ont un lien de parenté. Heureusement ils ne cousinent qu'à 5 et 6 générations, ils échappent ainsi aux interdits édictés par l'église qui n'autorise pas le mariage entre cousins jusqu'à quatre générations.
Nous voilà entrés dans l'église pour assister à la cérémonie nuptiale Le rituel se déroule en latin, puis en français uniquement lorsqu'il s'agit de recueillir les consentements. Ceux-ci obtenus retentit le ""Ego conjungo vos in matrimonium".
L'édifice n'est pas grand,c'est donc plein. Tous les bancs sont occupés. Les hommes à droite, les femmes à gauche.
Je me fais discrète, installée à une place du fond, j'écoute les chuchotements de mes voisines. Cela papote beaucoup. Comme moi, les fidèles ne saisissant rien au latin ont relâché leur attention.
On se perd en conjectures à propos de la si jolie robe de la mariée, où a-t-elle pu trouver un tissus aussi chatoyant et surtout quelles mains de fées ont réalisé le modèle ? Jamais jeune mariée ne s'aviserait de coudre elle-même sa robe, signe de malheur certain.
Soudain, le calme revient autour de moi, tous les regards se dirigent vers l'autel, c'est le moment d'échanger les anneaux, heureusement les mariés se sont tournés l'un vers l'autre. Ils se font face maintenant. Si l'alliance ne glisse pas facilement jusqu'au bout du doigt de la mariée, cela prédit qui sera aux commandes de la vie conjugale. Le marié ne doit pas laisser son épouse l’aider à passer l’alliance car il perdrait toute autorité sur elle. A contrario, si l’alliance est enfilée sans encombre, son épouse lui restera fidèle et dévouée toute sa vie.
Cette fois tout se passe bien, et les pipelettes de reprendre de plus belle, cette fois sur le festin qui va suivre.
J'entends à l'extérieur de l'église des rires et du chahut, c'est une bande de jeunes gens qui ont profité de l'exiguïté de l'église pour s'exonérer de cérémonie, certains sont chasseurs, d'autres jouent de la musique. Ils se préparent à un grand tintamarre de notes festives, salves de fusil ou pétards artisanaux.
Avant de rejoindre en cortège les lieux des agapes, la mariée, s'arrête. Elle embrasse sa famille ses amis, je m'approche, je lui présente tous mes vœux de bonheur et lui souhaite une belle descendance. Elle me remercie confuse de ne pas me reconnaître. J'élude, prétendant être une très lointaine cousine de passage dans la région. C'est Audille la reine de la journée, c'est sur elle que doit se porter l'attention.
Il est temps de m'éclipser et de rentrer de plain-pied dans le XXIe siècle.
Epilogue :
Audille et Augustin auront cinq enfants, trois filles et deux garçons, entre 1865 et 1881. Cela peut vous paraître lointain, pas pour moi : j'ai connu, lorsque j'étais enfant, leur fils Jean-Baptiste LEFORT (mon arrière-grand-oncle) lorsqu'il vivait à Joncourt (Aisne) chez son fils Maurice.
La jeune femme, mon arrière-arrière-grand-mère, quittera ce monde à seulement 43 ans, en 1887, sa plus jeune fille Marie Antoinette n'a que 6 ans. Son époux lui survivra jusqu'en 1899, il s'éteint à l'âge de 69 ans. L'arbre complet sur Geneanet : ICI
La photo de l'acte de mariage est extraite du registre en ligne disponible aux archives du Nord. Ce registre est une reconstitution, après destruction de l'original pendant la grande guerre.
Date de dernière mise à jour : Dim 16 mai 2021
Commentaires
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- 1. Catherine Livet Le Sam 15 mai 2021
Un très beau mariage ! -
- 2. BRUNEAU Christiane Le Sam 15 mai 2021
Joli RDV.... mais qui a fait la robe ??-
- Dominique LENGLETLe Sam 15 mai 2021
haha, comme il n'y a pas à ma connaissance de couturière à Montigny probablement celle de Bertry ou Clary. Je connais aussi le lieu de la nuit de noces, mais comme je ne veux pas qu'ils soient reveillés et obligés de boire la mixture dans le pot de chambre, je garderai le secret
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- 3. Veronique Espeche Le Sam 15 mai 2021
Un bien joli RDV printanier :)
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