Cetait au temps ...

Augustin Maronnier et Odile Brevet

La photo du mois

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Il y a des photographies qui ne se contentent pas de montrer, elles racontent. Elles chuchotent des histoires de larmes retenues, de promesses brisées et de deuils trop lourds à porter.

Celle-ci occupe une place à part parmi les souvenirs que je garde précieusement, fenêtre entrouverte sur un fragment de vie fixé pour l’éternité. Certaines images vont bien au-delà de la mémoire familiale. Elles touchent à l’universel, elles parlent pour tous les absents, pour toutes ces familles brisées par l’Histoire.

A toutes les mères, à toutes les épouses qui pleurent et pleureront un père, un mari, de par le monde.

Nous sommes dans un cimetière, quelque part en France, au lendemain de la Grande Guerre. Trois figures en noir, figées dans la douleur et la prière, se recueillent devant une croix de bois sur laquelle est inscrit un nom : Augustin Maronnier. Un médaillon, fixé sur l’image, nous rappelle les traits de ce soldat disparu.

François "Augustin" Maronnier

Son parcours militaire commence en 1898, lorsqu’il s’engage dans l’armée. Année après année, il gravit les échelons, s’engageant à plusieurs reprises jusqu’en 1913, où il sollicite l’autorisation de quitter l’armée active pour devenir simple réserviste. Mais les tensions internationales s’accumulent, et la guerre approche. Il est maintenu en service et, lorsque le conflit éclate, il est promu "sous-lieutenant à titre temporaire, le temps de la guerre"

Le 23 février 1916, en pleine bataille, il disparaît dans le bois de la Warville dans les combats de Verdun. Mais Augustin ne tombe pas ce jour-là : il est capturé par les Allemands puis interné au lazaret du camp de prisonniers de Germersheim, en Rhénanie-Palatinat. il fait partie de ces soldats dont le corps a été ravagé bien avant la fin des combats. Peut-être a-t-il inhalé les gaz meurtriers, ces vapeurs qui rongent les poumons et provoquent une lente agonie.

Il est enfin rapatrié le 20 décembre 1918, plus d’un mois après l’armistice. Mais la guerre ne l’a pas seulement marqué : elle l’a déjà condamné. Affaibli, malade, il meurt en février 1919 à l’hôpital de Rosendaël, dans les Flandres. La guerre était finie, mais elle continuait à tuer.

Odile Brevet dite Albertine

Pour Albertine, née Odile Brevet, c’est un deuxième deuil qu’il lui faut affronter. Deux ans plus tôt, en 1917, elle avait déjà perdu son frère, Jean-Baptiste Brevet, "Mort pour la France". Non pas sous les balles ni dans un assaut héroïque, mais d’une infection née d’une mauvaise dentition. Il était de cette génération où la médecine était encore impuissante devant les complications d’une simple rage de dent devenue mortelle.

Albertine n’est pas une inconnue dans mon arbre généalogique. Elle est la cousine de ma grand-mère maternelle Marie Antoinette Lefort. Sa mère, Audille Lefort, était la sœur de mon arrière-grand-père Augustin Lefort, tous deux originaires de Montigny.

Désormais seule avec ses filles, Albertine se tient là, figée dans le noir, veuve d’un soldat et sœur d’un autre, privée des hommes qui faisaient son monde. À ses côtés, ses filles Émilienne, 9 ans, et Francine, 7 ans, agenouillées, mains jointes dans un profond silence. Que peuvent-elles comprendre de cette tragédie qui a emporté leur père, sinon que l'absence, désormais, est un poids qu’elles devront porter toute leur vie ? Albertine, leur mère, s’éteignit en 1976, après plus d’un demi-siècle de solitude.

Odile brevet

Une perpétuelle histoire

Aujourd’hui, en regardant cette image, nous ressentons toujours ce poids, ce vertige. Les rumeurs de guerre, qui bruissent à nouveau sur notre continent, lui donnent une résonance glaçante.

L’Histoire ne bégaie pas, elle se poursuit inlassablement. La folie des hommes n’a pas de mémoire, elle se transmet, comme inscrite dans les gènes, tapie dans l’ombre des générations depuis la nuit des temps. Il y aura, je le crains,  toujours quelque part, une femme en noir qui pleure les siens, et des enfants trop jeunes pour comprendre le poids d’un deuil trop grand pour eux.

Épilogue

Marronier emilienne 1

Les petites filles en noir sur la photographie allaient grandir sans père, mais la République, dans un geste de reconnaissance, leur accorda le statut de "Pupilles de la Nation" par jugement en date du 16 août 1920. Orphelines de guerre, elles furent protégées par cette mesure qui visait à offrir, aux enfants des héros tombés pour la patrie, un soutien financier et moral.

Émilienne et Francine ne se marièrent pas. Elles vécurent auprès de leur mère, comme figées dans cette enfance marquée par le deuil. Leur vie fut un long compagnonnage silencieux, une mémoire vivante de cette guerre qui leur avait pris l’essentiel.

Émilienne vécut jusqu’en 2006, et Francine jusqu’en 2008Elles ne laissèrent ni époux, ni enfants, mais leur souvenir demeure dans la mémoire familiale. Pour nous, elles resteront à jamais "les cousines de Selvigny".

Marronier francine 1

 

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Date de dernière mise à jour : Jeu 10 avr 2025

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Commentaires

  • Françoise Degenne
    Combien de vies gâchées par cette guerre ? Des victimes directes et toutes les familles qui ne s'en remettent jamais. Très bel article pour continuer à se souvenir.
  • Christiane Bruneau
    • 2. Christiane Bruneau Le Jeu 10 avr 2025
    très bel hommage, mais très triste !
  • VERONIQUE ESPECHE
    Quelle photo ... La tristesse transpire autant dans les clichés qu'à travers tes mots

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