Marcelle Delépine et Raymond Gilbert
26 février 1944
Le 26 février 1944, en pleine guerre et sous l'occupation allemande, Marcelle Delépine, originaire de Montigny en Cambrésis épousait à Clary, Raymond Gilbert, un jeune homme venu de Châtellerault, dans la Vienne.
Un mariage qui semble, à première vue, improbable tant leurs origines sont éloignées. Marcelle, troisième enfant d'Eugène Delépine et Marie Antoinette Lefort, mes grand-parents maternels, a grandi à Montigny, où son père, tisseur, et sa mère, femme au foyer, l'ont élevée avec ses deux aînés, Léon et Berthe.
Comment une jeune fille de ce village du Nord pouvait-elle croiser le chemin d'un garçon de la Vienne, dans un contexte aussi troublé par la guerre ?
L'enfance de Marcelle
En 1929, alors que Maire-Antoinette a donné naissance à une nouvelle enfant, Rolande ma mère, et qu'elle est de nouveau enceinte, la petite maison de Montigny devient trop exiguë pour la famille Delépine. Elle décide de s'installer à Clary, un village voisin situé à seulement 2 km. Le déménagement, efffectué à pied et avec une charrette, reste gravé dans la mémoire de Marcelle, qui n'avait alors que cinq ans.
La maison de la famille se trouve désormais à la sortie de Clary, au bord d'un petit chemin menant à la rue Henri Bourlet. La fratrie s'agrandit avec la naissance de Madeleine en 1929, puis de Sylvain en 1932, d'Adrienne en 1935 et, finalement, de Marc, dit Marco, en 1938.
Marcelle fréquente l'école communale de Clary jusqu'à l'obtention de son certificat d'études primaires et fait sa communion solennelle à la même époque, entre onze et douze ans.
Pas encore concernée par la Loi Jean-Zay du 9 août 1936 qui prolonge l'obligation scolaire jusqu'à 14 ans, elle commence immédiatement à travailler chez Lecoq, l'une des usines de confection du village, spécialisée dans la fabrication de chemises.
La jeune fille, qui est déjà un peu rebelle, va se laisser entraîner par les collègues de travail et participer au cortège de manifestants lors des grèves de 1936. Notre grand-père, averti par une bonne âme du village, ne goûtera pas son comportement. Elle se fera vertement tancer.
Le bal des débutantes
Les années passent, comme dans la plupart des familles nombreuses, les aînés s'occupent de leur cadets. Cette responsabilité incombe à Berthe et Marcelle.
Marie Antoinette, se consacre à la maison, au jardin, au verger, et une fois par semaine, va aider à la fabrication du beurre dans une ferme voisine. Eugène, devenu agent d'assurances, bat la campagne au guidon de sa moto pour encaisser auprès de ses clients.
En 1939, à l'instar des traditions de la bonne société d'avant guerre, Berthe et Marcelle vont assister à leur premier bal. Un événement marquant immortalisé sur une photo où elles apparaissent, tout de blanc vêtues, dans de jolies robes en dentelle ; témoignage d'une vie plus confortable que modeste.
La guerre et l'exode
Lorsque la guerre éclate, les souvenirs de l'occupation allemande de la Première Guerre mondiale restent vivaces dans la région. Après des mois d'incertitude, l'ennemi attaque en mai 1940.
Eugène décide de prende la route de l'exode. Un ancien combattant de la Grande Guerre, de ses amis, lui offre l'hospitalité dans une maison de vacances qu'il possède en Loire Inférieure . Il faut partir d'urgence et tout laisser. La famille s'entasse dans une petite camionnette. Marcelle, alors âgée de 16 ans, effectuera une grande partie du voyage sur le marche-pied du véhicule. Après un mois de périple, ils parviennent enfin à Saint-Michel-Chef-Chef.
La vie s'organise à la villa Ker Gatus. Les plus jeunes vont à l'école. En âge de travailler, Marcelle et Berthe sont rapidement embauchées dans l'usine locale de fabrication des galettes.
Cette période de l'exode sera, pour les enfants d'Eugène et Marie Antoinette, une époque marquée par une sorte de liberté insoupçonnée. Le climat plus doux de la Loire-Inférieure leur permettait de découvrir la mer et ses plaisirs, un contraste frappant avec la plaine du Cambrésis. Entourés de nombreux amis, ils menaient une vie d'adolescents.. Bien qu'en zone occupée, la situation était bien meilleure que dans le département du Nord, qui était en zone interdite. Ils ne manquaient de rien, n'ayant pas à souffrir de la faim, et cette période de paix relative offrait un rare répit dans l'adversité de la guerre.
Raymond
C'est là, en 1942, que Marcelle rencontre Raymond Gilbert, un jeune homme originaire de la Vienne. ayant fui sa ville natale, pour échapper au STO. Le jeune homme loge un temps dans un hôtel à Tharon, il a vingt trois ans, et fréquente la jeunesse du village. La rencontre a lieu et c'est le coup de foudre.
Né en octobre 1919 à Chatellerault, Il est le fils de Joseph Gilbert et Renée Deslandes et l'ainé d'une importante fratrie, il a 11 frères et soeurs.
Raymond travaillera comme diéséliste sur le port de Saint-Nazaire et participera à un réseau de résistance.
En 1942, Berthe s'est mariée, bientôt suivie par Léon. Tous deux resteront en Loire inférieure alors que nos grands-parents décident, en 1943, de rentrer dans le Nord. Marcelle, toujours mineure, doit les suivre. Mais la relation entre les amoureux est sérieuse, leurs sentiments ne cèdent pas à l'éloignement.
Le retour à Clary ne se fera pas sans douleur, la famille Delépine retrouve une maison pillée, vidée de tous ses meubles. Il faudra en priorité retrouver du travail et s'équiper avant de penser à la noce.
Après le mariage à Clary, le jeune couple retourne en Loire-Inférieure et s'établit à Saint-Michel-Chef-Chef. C'est là qu'en décembre 1944, leur premier enfant, Yannick, naît. Un an plus tard, en novembre 1945, le couple accueille leur second enfant, Alain.
Retour dans le Nord.
Après la guerre, Marcelle et Raymond Gilbert reviennent s'installer à Clary.
Dans un premier temps, Raymond travaille avec Camille Fidaire, et ils ouvrent un garage de réparation de vélos. Peu de temps après, Raymond part travailler "à la batteuse" à l'entreprise Sandras (Arpin) de Montigny, chez l'oncle de Marcelle.
Pendant ce temps, Marcelle prend la gestion du café situé à droite de la rue de l'Église, un établissement nommé "Chez Marcelle" – un clin d'œil au fait que l'épouse du précédent tenancier, Monsieur Masse, portait déjà ce prénom.
Un souvenir évoqué par un Clarysien :
"On était toute une équipe à y passer des week-ends complets, à jouer au javelot et à boire de la Setz-Braü ! De bons souvenirs de jeunesse."
Le café était aussi un lieu où l'on organisait des repas, comme ce repas de classe 1958, immortalisé par une photo transmise par Léon Boitelle, où l'on voit Marcelle au premier plan.
À la fin des années 50, la famille quitte Clary pour Cambrai, rue de Cantimpré, où ils habitent dans un garage Fiat. Raymond y travaille comme mécanicien garagiste, et Marcelle est employée dans différents magasins du centre de Cambrai.
Cette propension à changer d'emploi et de logement ne les quittera jamais : après la rue de Cantimpré, ils vivent un temps dans un appartement, avant de quitter Cambrai pour le Valenciennois dans les années 70, d'abord à Condé-sur-Escaut, puis à Valenciennes.
C’est à cette époque que j'ai la chance d' habiter chez eux, l'année de ma terminale à Watteau en 1971. Après cela, le couple s'installe à Péronne, où mes cousins ont ouvert un commerce informatique, comme ils l'avaient fait à Cambrai quelques années plus tôt, Olivetti avenue de la Victoire.
Marcelle et Raymond formaient un couple unique, loin des conventions traditionnelles. Notre tante, Marcelle, était bien plus qu'une simple tante pour nous : elle se comportait souvent comme une amie de notre âge. Nous discutions de mode, de régimes, de garçons, comme si nous étions de jeunes filles partageant les mêmes préoccupations. Cette complicité particulière faisait d'elle une personne à part dans la famille, relativement différente de ses frères et sœurs, qui étaient plus sérieux et plus posés. Elle apportait une touche de légèreté et de modernité. C’est cette facette d’elle qui m’a marquée, moi et sans doute bien d’autres autour d’elle.
Quant à mon oncle Raymond, bien que plus discret, il était tout autant non conformiste à sa manière, apportant un équilibre tout particulier à ce couple plein de vie. Ensemble, ils formaient une équipe hors norme, qui m’a toujours impressionnée par sa liberté et son ouverture d’esprit.
Tous les enfants de la famille Delépine ont régulièrement passé leurs vacances en Loire-Atlantique.
Si la présence de leurs frères et sœurs y était une raison évidente, il y avait aussi le plaisir de retrouver une région qui les avait accueillis pendant l'exode. Ces retours étaient une manière de garder un lien avec ce chapitre de leur histoire, de leur jeunesse.
Vient le temps de la retraite, et Marcelle et Raymond profitent pleinement de cette nouvelle étape de leur vie. Ils s'occupent beaucoup de leurs petits-enfants, un bonheur qu'ils savourent, ayant toujours aimé être entourés de jeunesse.
Leur cercle d'amis est également très important pour eux, et ils continuent à cultiver ces relations chaleureuses. Raymond, enfin, peut se consacrer à sa passion pour la pêche, et les étangs de la Somme deviennent son havre de tranquillité.
Mais avec le temps, leur santé commence à décliner. Marcelle souffre de pertes de mémoire, des absences fréquentes, les prémices de la maladie d'Alzheimer qui touche la famille.
De son côté, Raymond, qui avait toujours beaucoup fumé, développe un cancer des poumons. Après une vie pleine d’énergie et de passions, Raymond meurt en 1997.
Marcelle, qui ne peut plus vivre seule devra être hospitalisée. Elle nous quitte en décembre 2004.
Les cousins
Yannick et Alain ont respectivement 9 et 8 ans de moins que moi.
Comme ce sont des garçons, j’ai forcément moins de souvenirs à partager avec eux qu’avec mes cousines. Ils ont fait leur scolarité primaire à l'école communale de Clary avant de poursuivre au collège à Cambrai.
Plus tard, ils se sont orientés vers des professions commerciales, dans le domaine de l'informatique et de l'équipement de bureau, d’abord à Cambrai puis à Péronne.
Alain, qui a aussi tenu un temps une discothèque à Masnières, a été le premier à se marier, en 1965, avec Chantal Desoignies.
Le couple a eu deux fils.Yann et Johann.
Malheureusement, Alain, qui fumait beaucoup, comme son père, a suivi ce dernier de peu dans la tombe, et est décédé en 2002 à 57 ans d’un cancer du poumon.
Yannick
Yannick, quant à lui, se marie l’année suivante, en 1966, avec Claudine Prugnot.
Ensemble, ils ont eu deux filles. Sandrine et Pascaline.
Yannick était un passionné de sport, très impliqué dans le football. Il fut longtemps président du Football Club de Péronne.
Il meurt en 2019, d’un cancer de la peau.
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Date de dernière mise à jour : Dim 02 mars 2025
Commentaires
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- 1. Nathalie Lavaud Patrouillault Le Ven 28 fév 2025
Intéressant de mieux connaître cet oncle et cette tante que je n'ai rencontré que 3 ou 4 fois dans mon enfance et adolescence. Quant à mes cousins, je n'ai pas eu l'honneur de les connaître.-
- Dominique LENGLETLe Sam 01 mars 2025
Merci beaucoup, c'est mon objectif
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- 2. Magali Boulanger Le Jeu 27 fév 2025
Mon père a très bien connu Yannick et Alain Gilbert, mon père était entraineur de foot à peronne et est natif de masnieres -
- 3. Christiane Bruneau Le Jeu 27 fév 2025
Une belle vie , bien remplie.
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