Arthur Tordoit x Noëlla Fruit
La famille Tordoit
Arthur Tordoit est né en mai 1912 à Ligny en Cambrésis, un petit village situé à proximité de Caudry, la ville renommée pour son industrie textile et sa fameuse dentelle. Ce contexte industriel et la proximité de Caudry, centre de l'activité textile, marquent profondément l'enfance et la vie d'Arthur.
Son père, Émile, né en 1886, travaille comme mécanicien dans les métiers à tisser et est chargé de fabriquer les navettes, ces éléments indispensables à la production textile. Marie Albertin Dépierre, la mère d'Arthur, exerce le métier de dévideuse, une fonction essentielle dans le processus de fabrication des tissus. Elle est responsable du dévidage, c'est-à-dire du positionnement des écheveaux sur les tavelles d'un bobinoir, afin de former les bobines utilisées dans les métiers à tisser.
Avant la naissance d'Arthur, en mai 1904, Marie Albertine, à seulement 17 ans, donne naissance à un premier enfant, Albert Jean Baptiste, dit Jean. l'enfant sera déclaré par la sage-femme, et pas pas la famille de la jeune femme. Émile n'est gère plus âgé. Ils sont bien trop jeunes pour fonder un foyer stable. À 20 ans, Émile est appelé devant le conseil de révision. Il est déclaré bon pour l'armée, mais en raison de son astigmatisme hypermétropie, il est affecté au service auxiliaire. Il effectue son service militaire de 1907 à 1909. Après quoi ils pourront se marier.
Jean, né Dépierre sera reconnu et légitimé Tordoit lorsque ses parents se marieront en juin 1910. Arthur, quant à lui, naîtra en 1912. Il sera surnommé Emile Arthur, pour le distinguer de son père.
L'enfance d'Arthur et de Jean se déroule à Ligny en Cambrésis, un petit village où la guerre et l'occupation allemande ont profondément marqué leur quotidien. Tandis qu'Arthur est encore tout jeune, son père Émile part au front entre 1914 et 1918. La région est occupée par les Boches, et l'industrie textile, principale source de subsistance, est dévastée. Les Allemands détruisent les métiers à tisser et confisquent les ressources, plongeant la population dans une pénurie d'emplois et de biens. Les deux garçons grandissent dansce climat de privations, de difficultés et d'incertitudes.
Jean Tordoit : Historien local et mémoire de Ligny
Jean Tordoit, le frère aîné d'Arthur, est bien connu dans l'arrondissement pour ses travaux en tant qu'historien local. Dans les années 1980, il publie un ouvrage intitulé Ligny mon village d'hier et d'aujourd'hui, et l'histoire de ma rue , un livre dans lequel il retrace l'histoire de son village natal et la transformation de son environnement au fil du temps. Cet ouvrage, malheureusement épuisé, demeure un témoignage précieux de la mémoire locale et continue d'inspirer ceux qui souhaitent comprendre les racines et l'évolution de Ligny en Cambrésis.
Arthur
Les années passent...
En 1927, le frère aîné d'Arthur, Jean, se marie, marquant ainsi un nouveau chapitre dans la vie de la famille.
L'événement est suivi par la disparition prématurée de leur père, en 1935. Emile n'avait que 49 ans. Cette perte qui laisse un grand vide dans le foyer familial. Leur mère, Marie Albertine, survivra encore longtemps, jusqu'en 1959.
Pendant cette période de bouleversements, Arthur, désormais adulte, effectue son service militaire obligatoire de dix-huit mois, alors que la France se prépare à une nouvelle confrontation avec l'Allemagne.
Enfin, Arthur va croiser le chemin de Noëlla Fruit, ma grand-tante. Une rencontre qui changera le cours de sa vie.
La famille Fruit
Noëlla Fruit est ma grand-tante. Née en 1911, elle est l'une des filles d'Emile Fruit et Aimée Wanecq, mes arrière grand-parents.
Emile, né le 20 janvier 1864 à Bertry, était le fils de Célestin Fruit, tisseur, et d'Anne Fortune Taine, également tisseuse. Émile, après avoir fait son service militaire, devient mécanicien et effectue la maintenance des métiers jacquard. Bien qu'il ait été tisseur de formation, son rôle dans la réparation des machines à tisser l'amène à se déplacer fréquemment dans toute la région. Il se marie en 1896 avec Aimée Wanecq, et ensemble, ils auront six enfants, dont Noëlla.
Aimée Wanecq, quant à elle, est issue d'une famille de tisseurs et vivait dans un milieu modeste, avant que les deux époux aient connu une certaine aisance à Bertry. Emile, exposé au plomb dans son travail, développe une maladie : le saturnisme qui aurait conduit, selon la légende familiale, à un changement radical de couleur de cheveux vers l'âge de 30 ans.
Le couple, mariés en 1896, aura six enfants, mais la vie de la famille sera marquée par le deuil. Leur deuxième fille, Gabrielle née en 1899, ne survivra pas plus de six mois. La suivante, née en 1901, portera également le prénom de Gabrielle, notre grand-mère.
Noëlla, la benjamine, naît une décennie plus part, mais son prénom est également indissociable d'un drame familial qui a bouleversé ses parents. en 1909, la famille a connu une tragédie : la noyade de son frère, Noël Aimé, âgé de seulement trois ans. Alors qu'il jouait innocemment avec sa sœur Gabrielle, Noël se noya dans un baquet d'eau, un accident qui plongea la famille dans un deuil immense. Ce drame marqua à jamais l'histoire familiale, et c'est en hommage à ce petit frère disparu qu'Aimée et Emile donnèrent à leur fille le prénom de Noëlla.
Il est intéressant de noter qu'à l'époque, il n'était pas inconcevable de donner à un enfant décédé un prénom similaire à celui d'un frère ou d'une sœur, ce qui, aujourd'hui, serait difficilement imaginable. Les circonstances de la noyade du petit Noël, n'avait jamais été clairement évoquées par notre grand-mère, je les ai trouvées via un article de presse. J'ai évoqué l'affaire dans un autre billet que vous pouvez consulter : Noël Fruit.
Noëlla
La petite dernière de la fratrie grandit dans l'amour familial, sous la protection et l'attention de ses deux sœurs et de son frère aînés. Elle vit une enfance paisible, avant que la Grande Guerre ne frappe. L'occupation allemande vient bouleverser son quotidien, apportant avec elle son lot de peurs et de privations.
Sur cette photo pleine de douceur et de tendresse, Noëlla et sa sœur aînée de 10 ans, Gabrielle, partagent un moment complice et intime. Gabrielle, l'air calme et posé, semble veiller sur Noëlla, qui affiche un sourire innocent et curieux. La scène se déroule en extérieur, entourée de nature, probablement dans le jardin familial.
Le regard des deux demoiselles, ne dénote aucune angoisse liée à des temps difficiles. la photo n'est pas datée. Sommes nous sortis de la guerre ? L'expression de la petite fille, les cheveux ornés d'un grand nœud, contrastent joliment avec la posture plus tranquille de sa sœur, qui porte un look plus sobre et élégant .
Cette photo, prise dans un studio de photographe le 28 avril 1925, contraste fortement avec la précédente. Noëlla, âgée de 14 ans, nous apparaît déjà sous les traits d'une jeune fille.
Elle porte une robe en velours et un grand chapeau décoré de fleurs. Ses chaussures à boucle et ses bas préfigurent la jeune femme en devenir.
Alors que la première photo capturait la complicité et la simplicité d'un moment familial, cette image de studio présente Noëlla dans une posture plus formelle, assise avec grâce et un regard calme mais assuré.
Le décor en arrière-plan est typique des studios de l'époque, colonnes greques et escalier majestueux.
Noëlla est désormais une jeune adulte, ses frères et sœurs ont quitté la maison pour se marier. Elle exerce le métier d'épeutisseuse, consistant à examiner les grandes pièces de tissu pour en retirer les éventuels nœuds à l'aide d'une pince semblable à une pince à épiler. Elle a un amoureux, Arthur. Est ce pour lui qu'elle s'est fait photographier ?
En 1935, son père, Emile Joseph Fruit, meurt à l'âge de 71 ans, un âge respectable pour l'époque.
Noëlla et sa cousine Lucienne Wanecq, nées avec seulement deux ans d'écart,entretiennent une relation proche et complice. La mère de Noëlla étant la sœur du père de Lucienne. Sur cette image, chacune porte une robe élégante de l'époque et toutes deux affichent des coupes de cheveux à la mode .
Le samedi 4 juin 1938, Noëlla et Arthur TORDOIT s'unissent à Bertry, entourés de leurs proches, ils ont choisi leurs frères respectifs comme témoins. Emilien FRUIT, menuisier à Bertry, pour Noella et Jean TORDOIT, mécanicien à Ligny pour Arthur. Cependant, cette joie nuptiale est teintée d'inquétude. D'une part l'état de santé de la mère de Noëlla s'est dégradé. Elle mourra deux mois plus tard, en août 1938 . Mais plus encore, l'ombre de la guerre plane sur ce mariage.
L'appréhension est grande dans l'ensemble de l'Europe, depuis l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne nazie au mois de mars. Les tensions sont palpables, et la situation devient de plus en plus préoccupante. Cette inquiétude se concrétise rapidement. Le matin du 1er septembre 1939, l'Allemagne attaque la Pologne sous prétexte d'incidents à la frontière. Deux jours plus tard, la France et la Grande-Bretagne, liées par un traité défensif avec la Pologne, déclarent la guerre à l'Allemagne nazie. Arthur, comme les autres hommes jeunes, est mobilisé.
S'ensuit "la drôle de guerre". En effet, sur le front occidental, es hostilités se réduisent à quelques escarmouches aux frontières, chacun évaluant les capacités de l'adversaire. Puis brutalement l'Allemagne attaque en une offensive éclair le 10 mai 1940. La France submergée capitule, le 22 juin 1940 l'armistice est signé. Arthur démobilisé, rentre dans ses foyers.
le premier enfant du couple, Michel, naît en 1941. Il sera suivi de Jean Pierre en 1945, et enfin d'Elisabeth en 1948.
J'ai connu bien l'Oncle Arthur et Tante Noëlla que je voyais régulièrement chez mes grands-parents étant enfant. Je me souviens également de nos visites à Caudry, en compagnie de mes parents, surtout en janvier, pour la présentation des vœux.
Plus tard, j'ai eu l'occasion de les revoir à plusieurs reprises, lors de cérémonies familiales, comme les funérailles. Arthur s'est éteint à son domicile en février 2007, à l'âge de 94 ans, et Noëlla deux mois plus tard, à l'hôpital du Cateau, à l'âge de 95 ans. Elle n'a pas survécu longtemps au départ de son mari, son état de santé s'est rapidement dégradé.
Aujourd'hui encore, je reste en contact épistolaire avec mes petits cousins, préservant ainsi ce lien familial qui perdure au fil des années.
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Date de dernière mise à jour : Mar 04 fév 2025
Commentaires
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- 1. Jean-Luc Marcel DUMOULIN Le Mar 04 fév 2025
Merci pour ce beau récit familial. De longtemps il y a eu des liens entre Bertry et Ligny, notamment au niveau de l'Eglise réformée.
En tous cas, comme d'hab j'en ai profité pour me servir de tes photos pour compléter mes fiches. Merci aussi pour ça.
Bises. Jean-Luc.
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