Gustave Bouvelle (1882-1944), un apache rural
Prologue
Avril 1913. Dans la rue de l’Argillière à Bertry, les potins vont bon train, et ils ont fini par parvenir jusqu’à mes oreilles. Cela vous étonne ? Pourtant, rien de plus normal. À force de côtoyer nos ancêtres, nous avons acquis le don de remonter les couloirs du temps grâce au Rendez-vous Ancestral (#RDVAncestral).
L’affaire qui agite le village semble bien complexe. Pour y voir plus clair, je vais prendre l’apparence d’Osyne, chroniqueuse pour la gazette Cetaitautemps, et mener l’enquête sur place. Par chance, Bertry est mon terrain de jeu, le village où je suis née et où j’ai grandi. Je devrais donc me repérer sans difficulté... et pourtant, tous ces patronymes que j’entends me sont étrangers. Qui sont ces gens ? Que s’est-il passé ?
Allons-y, nous verrons bien !
Gustave Bouvelle, un apache rural !
Depuis décembre 1912, Bertry bruisse d’une affaire de vol de chevaux, qui sent bon le scandale. Au cœur de ce vaudeville rural ? Un certain Gustave Bouvelle, cultivateur à Bertry, mais natif de Bohain.
L’histoire commence comme un conte de village : une jeune femme de Bertry, Hergis Stéphanie Carlier, tombe sous le charme sulfureux d’un homme venu d’ailleurs. Mais notre Gustave n’est pas un honnête travailleur venu chercher fortune dans le tissage ou l’agriculture.
La jeune femme ignorait-elle tout de son passé ? Quoi qu’il en soit, elle n’a pas épousé l’homme le plus recommandable du coin. Nous avons affaire à un « apache » rural.
Les apaches sont des bandes criminelles qui sévissent dans le Paris de la Belle Epoque. Ce terme apparaît vers 1900. L’apache deviendra vite la plaie de la capitale et de sa banlieue.
Car Gustave n’en est pas à son coup d’essai. Il a déjà eu « les honneurs de la presse » à 17 ans.
Entre 1898 et 1902, il enchaîne les condamnations. Colportage illégal de tabac, bris de clôture, ivresse et tapage nocturne, coups et blessures volontaires, outrages, rébellions… une panoplie complète de méfaits qui ne fait que s’enrichir avec le temps.
Son mariage en février 1908 ne va pas l’assagir. Le voilà impliqué dans une grave affaire de vol en novembre de la même année... On peut imaginer la stupeur de la pauvre Hergis, jeune mariée, si elle découvrait seulement que son époux était un serial filou ! Sitôt marié, sitôt prisonnier ! Mais au sens propre. Il écopera de 4 ans de prison.
Je note soigneusement toutes ces informations glanées autour de multiples tasses de café, sirotées dans différentes maisons de ma rue. Entre femmes la parole est plus libre, et puis on me fait confiance, ma famille habite à quelques centaines de mètre. Je me promets de me pencher plus tard sur cette affaire de 1908, car Gustave n’est pas le seul bertrésien à avoir eu des démêlés avec la justice. Cela fera l’objet d’une autre chronique, ultérieurement. Revenons-en à décembre 1912.
Une belle pouliche rousse
Tout avait commencé le 30 octobre, devant un estaminet situé près de la sucrerie de Solesmes. Un homme qui conduisait un attelage de trois chevaux, décida de faire une pause, pour se désaltérer. Lorsqu’il sortit du débit quelques minutes plus tard, il ne retrouva que deux de ses destriers. Le troisième, une belle pouliche rousse, avait disparu comme par enchantement. Sauf qu’elle ne passait pas inaperçu !
Dès le lendemain, la rumeur enflait : un animal semblable était passé par Neuvilly, et de fil en aiguille, le chemin menait à Bertry. Ni une ni deux, les gendarmes se mirent en quête du cheval disparu et, à force d’indications concordantes, arrivèrent jusqu’au domicile de Gustave Bouvelle. L’homme cultivateur, et dresseur de chevaux, habitait une maison à usage de ferme et d’estaminet, dont sa belle-mère, la dame Taine, occupait une partie.
De nouveau je sors mon calepin pour entrer toutes ces informations. Peu à peu je comprends qui est cette Dame Taine. Hergis Carlier est la fille d’Augustin Carlier et Hergis Robert, sa seconde épouse. A la mort d’Augustin, en 1887 sa veuve s’est remariée à Michel Jacques Philippe Taine. Il auront un fils, Michel, demi-frère de la jeune mariée, toute la famille vit alors au 6 de la rue de L’argillière (aujourd’hui rue Jeanne d’Arc)
Là, surprise ! Dans une atmosphère que l’on imagine électrique, Bouvelle qui ne se démontait pas, s’indigna, et s’opposa à la perquisition de la partie occupée par sa belle-mère. Le maire et le garde-champêtre requis, vinrent avec un serrurier. Une fois la porte ouverte, on découvrit le cheval attaché à la tête du lit.
Qu’est ce qui avait bien pu passer par la tête de Gustave pour imaginer que cacher un cheval dans une chambre serait une idée brillante. Toujours est-il que cette trouvaille laissa les autorités stupéfaites et le village hilare. La visite de la ferme permit de découvrir d’autres animaux volés.
Je riais de bon cœur en prenant connaissance de cette chute. Mais l’histoire laissait en suspens le rôle de Madame Taine, sur lequel les bertrésiens étaient assez divisés. Elle était poursuivie pour complicité. En effet, difficile d’ignorer la présence d’un cheval dans sa chambre. Sachant que Bouvelle était violent, il n’est pas exclu que la pauvre femme ait été sous son emprise, obligée de suivre ses plans farfelus pour éviter des représailles.
Epilogue
La belle-mère fut condamnée à deux mois de prison.
Le bad boy de Bohain qui n’avait décidément jamais su – ou voulu – rentrer dans le droit chemin fut incarcéré le 7 avril 1913 à la prison de Loos-lès-Lille, où il purgea sa peine. Par un curieux coup du destin, ce séjour forcé à l’ombre lui permit d’échapper à la Grande Guerre. Il recouvra la liberté en septembre 1917, à un moment où la France entière était encore plongée dans le chaos du conflit.
Cinq ans plus tard, en 1922, il était toujours domicilié à Bertry, selon sa fiche matricule militaire. Mais la vie tourna une nouvelle page lorsque, en 1928, son épouse Hergis, 47 ans s’éteignit à Bertry. Veuf, il disparut enfin des radars pendant plusieurs années.
Ce n’est qu’en 1942 que l’on retrouva sa trace, bien loin du Cambrésis, à Antony dans les Hauts-de-Seine. Il partageait alors sa vie avec une nouvelle épouse ou compagne. A-t-il enfin connu une existence paisible, loin des frasques judiciaires ? Rien ne permet de l’affirmer. Ce qui est sûr, c’est que la route de Gustave Bouvelle s’acheva le 8 mars 1944 à l’hôpital Cochin, à l’âge de 61 ans.
Un peu de généalogie
Afin de fournir un alibi généalogique à cet article qui n’a d’autre but que de vous divertir, la première épouse d’Augustin Carlier, Aimée Amélie Pruvot était mon arrière-arrière-grand-tante.
Quant à Michel Jacques Philippe Taine, Hérédis lui trouve quarante-trois ancêtres en commun avec moi.
Illustration IA
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Date de dernière mise à jour : Sam 19 avr 2025
Commentaires
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- 1. VERONIQUE ESPECHE Le Sam 19 avr 2025
Et moi qui pensais lire une histoire avec Cow-boy et indien ....
Ha, le charme des Bad boys -
- 2. Bruneau Christiane Le Sam 19 avr 2025
Voilà une histoire bien menée et enlevée ! Elle m'a bien fait rire.
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