Cetait au temps ...

Narcisse Louvet et Mathilde Lenglet

Voici le troisième et dernier article consacré à la vie de Narcisse Louvet.

Dans le premier article, nous avons dressé un portrait général de Narcisse et esquissé les grandes lignes de sa vie : Narcisse Louvet (1879-1950)

Le deuxième article était consacré à son premier mariage avec Angèle Taisne de Montigny : Narcisse Louvet et Angèle Taisne

À présent, nous abordons sa vie à Bertry, de son mariage jusqu'à son décès en 1950.

Bonne lecture.

Le vendredi 23 octobre 1908, à Bertry, Narcisse Louvet, jeune veuf encore marqué par le deuil de sa première épouse, Angèle Taisne, unit son destin à celui de Mathilde Lenglet.

Mathilde

Joseph lenglet et marie rose bracq

Mathilde, jeune femme de 20 ans, ourdisseuse comme tant d’autres ouvrières textile du Cambrésis, est, pour moi, une lointaine collatérale, la petite cousine de mon arrière-grand-mère.

Quelques mois avant ses noces, elle perd son père, Joseph Lenglet, âgé de 65 ans, laissant sa mère, Marie Rose Bracq, veuve avec ses enfants.

 La fratrie Lenglet tient bon : l’aînée, Marie, s’est mariée l’année précédente, et Pierre, le seul garçon, prend à cœur son rôle de nouveau chef au sein de la famille ; il se mariera seulement au début des années 1920. Mathilde s’apprête à fonder son foyer aux côtés de Narcisse. Valentine et Louise Lenglet resteront célibataires, ce que l’on appelait à l’époque des  vieilles filles.

Mathilde accueille et élève, comme sa propre fille, Angèle, bambine de trois ans née du premier lit de Narcisse. En 1910, le couple va  lui donner un frère  Narcisse François,  - pour le différencier de son père, j'utiliserai ici le double prénom - .

Ces premières années de leur union semblent marquées par une certaine sérénité, mais l’Histoire va bientôt les rattraper.

Ci-contre, Joseph Lenglet et Rose Bracq. 

 

 

La Grande Guerre

Lorsque le conflit éclate en août 1914, Narcisse est rappelé sous les drapeaux et est fait prisonnier en Allemagne pendant plus de quatre ans. Toute la famille se réunit pour lui envoyer une photo de groupe.

La guerre n’épargne personne : les privations, les angoisses et les nouvelles sporadiques des captifs mettent la jeune épouse à rude épreuve, mais son courage est grand, elle tient bon jusqu’au retour de Narcisse en janvier 1919.

Narcisse rejoint ses proches à Bertry.

Les effusions des retrouvailles portent leurs fruits puisque Mathilde donne naissance à des jumeaux, Jean Abel et Suzanne Marie Louise, après une décennie d’écart avec leur frère aîné, Narcisse François. Cette naissance est un symbole d’espoir et de renouveau pour une famille déjà tant éprouvée.

 

famille Louvet grande guerre

Les défis de l'entre-deux-guerres

Les années qui suivent voient la famille Louvet se reconstruire, mais l’entre-deux-guerres est une période d’incertitude et de bouleversements. Le couple élève ses enfants dans un contexte où l’ombre d’un nouveau conflit mondial ne va pas tarder à poindre.

La récession débute en 1928, aboutissant à la crise économique de 1929 aux États-Unis. Elle n’affecte la France qu’au début des années 1930, car l’économie du pays, encore traditionnelle, est peu liée au capitalisme international. De nombreuses familles, y compris les Louvet, sont impactées. La production s’effondre, les ouvriers en sont les premières victimes, et le chômage grimpe progressivement pour atteindre un million de chômeurs en 1935. Les difficultés financières s’ajoutent aux souvenirs encore vifs des horreurs de la guerre. Les années 1920, souvent appelées « Années folles », ne sont vraiment pas folichonnes pour tout le monde !

la famille

À la fin des années 1920, la famille Louvet voit son premier enfant quitter le foyer. Angèle, la fille aînée de Narcisse issue de son premier mariage, se marie en 1928, symbolisant le passage à une nouvelle génération.

Cette période est aussi marquée par des deuils. En 1926, c’est François le frère aîné de Narcisse qui meurt à Montigny. En 1927, Mathilde perd sa mère, l’imposante Marie Rose Bracq, laissant un vide au sein de la famille Lenglet. Narcisse fera ensuite face au décès de son père, François Louvet, survenu entre 1927 et 1930, A ce jour nous n’avons pas retrouvé la date de son décès.

Des moments heureux, il y en a également.

Comme ce  18 mai 1930, où les jumeaux Jean et Suzanne, âgés de 11 ans, célèbrent leur communion solennelle. À Bertry, elles se déroulent à l’époque le dimanche de la fête Jeanne D’Arc. Hasard du calendrier, il se trouve que cette année-là correspond à la commémoration du cinquième centenaire de la chevauchée de Jeanne D’Arc à Compiègne. Des festivités, en son honneur, ont alors lieu un peu partout en France.

Communion jean et suzanne louvet

Narcisse francois louvet et juliette coleau 1

Depuis quelque temps, Narcisse François, 19 ans, est amoureux. Il s’est épris de Juliette Coleau 20 ans. Leur relation passionnée conduit  à une grossesse non planifiée, situation délicate pour l’époque! Il convient de se marier rapidement.

La cérémonie a lieu le 6 février 1930, officialisant leur union avant la naissance de leur fille, Pierrette, en août de la même année. Cette union précipitée intervient alors que Narcisse François n’a pas encore satisfait à ses obligations militaires. Il sera appelé à servir de 1931 à 1932.

À l'époque, le jeune père est employé de bureau dans une usine de tissage, et son épouse Juliette est « rentrayeuse », c’est-à-dire qu’elle reconstitue les portions de trame et de chaîne d’un tissu lorsqu’une déchirure s’est produite lors de la fabrication. L’industrie textile est alors le socle économique du village.

- La vie de Narcisse François, est suffisamment riche pour constituer un nouvel article ultérieurement. Il en va de même pour la famille Coleau -.

 

Front populaire et tensions internationales

1936, le Front populaire, coalition de partis de gauche, accède au pouvoir en France. Cette période est marquée par des réformes sociales significatives, telles que l’instauration des congés payés et la réduction du temps de travail. Ces mesures ont des répercussions jusque dans notre village, où des manifestations locales reflètent l’effervescence sociale du moment. Une photographie illustre l’engagement et la mobilisation des habitants de Bertry durant cette période charnière de l’histoire sociale française. Toutefois, les divergences idéologiques entre socialistes et communistes, notamment sur la politique étrangère et la gestion économique, fragilisent l’unité du mouvement.

manifestation Bertry 1936

On peut distinguer tout en haut de l'image le film joué au cinéma : La terreur de la pampan (1933) avec Fernandel

Parallèlement, la situation internationale se détériore. En mars 1938, l’Allemagne nazie annexe l’Autriche lors de l’Anschluss, intensifiant les inquiétudes en Europe. Face à cette menace croissante, Léon Blum, revenu brièvement au pouvoir en mars 1938, propose la formation d’un gouvernement d’unité nationale pour renforcer la France contre les ambitions expansionnistes de l’Allemagne. Cependant, cette initiative n’aboutit pas, et Blum démissionne en avril 1938 après l’échec de son plan de réarmement au Sénat.

En 1939, On pourrait penser que la période n’est pas très propice, et pourtant, Narcisse François décide de  créer son propre atelier de tissage, dont il deviendra le directeur. Cependant, l'angoisse grandit au sein de la population française, notamment dans les régions du Nord et de l'Est, encore marquées par les souffrances de l'occupation précédente. Narcisse et Mathilde s'inquiètent particulièrement pour leurs deux fils, Narcisse François, âgé de 29 ans, et Jean, tout juste 20 ans.

En août 1939, alors que les tensions internationales atteignent leur paroxysme avec la crise du corridor de Dantzig, Narcisse François est convoqué pour une période d'instruction militaire du 17 au 30 août, soit quelques jours avant la déclaration de guerre du 3 septembre 1939.

Cependant, comme réserviste, il est trop âgé pour être mobilisé immédiatement en première ligne, dans les forces actives combattantes. Or, entretemps, il est victime d’un accident invalidant. Conséquence, il est réformé temporairement pour raisons médicales en avril 1940, pendant la "Drôle de guerre". Peu après, l'offensive allemande de mai 1940 conduit à la défaite française.

Jean, son cadet, est mobilisé dès le début du conflit. Fait prisonnier lors de la débâcle de 1940, il est envoyé en Allemagne et affecté à des travaux agricoles dans une ferme. C'est, si l'on peut dire, une chance, par rapport à d’autres prisonniers affectés à des travaux industriels ou miniers, dans des conditions beaucoup plus éprouvantes.  Cette affectation lui permet de bénéficier de conditions de vie relativement favorables : une alimentation suffisante et la possibilité de travailler en plein air.

À son retour, ses parents remarqueront qu'il a pris du poids, lui qui était auparavant de constitution plutôt maigre.

Jean louvet prisonnier de guerre

L'occupation et l'après guerre

Narcisse Louvet et son épouse Mathilde traversent une période difficile. En 1940, l’activité des brasseries, est interrompue en raison des restrictions imposées par l’Occupation. Narcisse se retrouve donc sans travail.

Heureusement, son fils continue de gérer sa jeune entreprise de tissage, malgré les difficultés d'approvisionnement en matériel et en matières premières. Il pourra donner du travail à son père.

Narcisse François effectue régulièrement des voyages à Paris, où il est en affaires avec des confectionneurs du Sentier. Grâce à cette activité, il délivre des permis de travail à des personnes de confession juive, leur offrant ainsi une couverture légale, bien qu'elles n'aient jamais réellement travaillé pour lui.

Suzanne travaille aux côtés de son frère aîné, Narcisse François, au sein de l'entreprise textile familiale, et Jean les rejoint à son retour de captivité.

Bien plus tard, il racontera à ses petits-enfants l’anecdote suivante :

Lors de ses déplacements vers la capitale, des habitants de Bertry en profitaient pour lui confier des colis alimentaires, destinés à leurs proches parisiens. L’activité était risquée, les contrôles fréquents et les sanctions sévères. Or un jour d’été, quelqu’un lui confia un paquet contenant une motte de beurre. Avec la chaleur, le beurre fondit et se répandit sur les tissus transportés, causant des dommages considérables à sa marchandise. Sa générosité était bien mal récompensée.

Suzanne mathilde et monique

 

En novembre 1946, Suzanne épouse Édouard Taine, un entrepreneur, artisan plâtrier, originaire de Bertry.

Neuf mois plus tard, ils accueillent leur fille, Monique.

Malheureusement, l’accouchement est difficile et le recours aux forceps indispensable. Le médecin n’en maîtrise  pas correctement l’usage.

Son incompétence, provoque des lésions cérébrales irréversibles chez le nouveau-né, laissant Monique lourdement handicapée. Elle ne marchera ni ne parlera jamais.

Ci-contre : Suzanne, Mathilde et Monique à Lourdes "Il n'y aura pas de miracle "

 

Jean , quant à lui, épouse Jeanine Lannis en 1948. L'année suivante, ils célèbrent la naissance de leur fils unique, Alain.

Le sort semble s'acharcher sur cette famille puisque Alain décède tragiquement, dans un accident de voiture en 1968, à l'âge de 20 ans.

Narcisse Louvet ne sera pas confronté à cet ultime drame, il est décédé le 8 mars 1950. Mathilde lui a survécu  treize années supplémentaires avant de s'éteindre en juin 1963.  

Jean jeaninne et alain louvet

Narcisse et mathilde

 

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Date de dernière mise à jour : Jeu 20 fév 2025

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Commentaires

  • Briqueloup
    Bien raconté, bien illustré. C'est appréciable d'avoir autant de photos.
  • Catherine Livet
    • 2. Catherine Livet Le Jeu 20 fév 2025
    Encore une famille sortie de l'oubli grâce à ces trois articles. J'espère lire la petite biographie de Narcisse François pour avoir plus de détails sur sa petite entreprise et sa vie de famille.
  • JJTAMBOISE
    • 3. JJTAMBOISE Le Jeu 20 fév 2025
    Bonjour Domi

    toujours intéressantes et instructives tes rubriques

    BIZ d'un Drômois
    JJ
    • Dominique LENGLET
      • Dominique LENGLETLe Jeu 20 fév 2025
      merci cousin
  • Fabienne Labrosse
    • 4. Fabienne Labrosse Le Jeu 20 fév 2025
    Grand merci encore Dominique. Quelle émotion de lire l'histoire de ma famille. Je partage tes écrits avec mon fils, neuveu et nièce qui sont très intéressés et te remercient aussi. Et tu racontes de façon si vivante !
    • Dominique LENGLET
      • Dominique LENGLETLe Jeu 20 fév 2025
      Ce fut un vrai plaisir de pouvoir mettre cette famille en lumière.

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