Maurice BUIRETTE (1928-1954)
Bonsoir Lily
Le 10 juillet 1954, disparaissait, dans une lointaine colonie, le jeune sergent Maurice Edmond BUIRETTE à l’âge de 25 ans.
Né à Montay , petit village proche du Cateau (Nord), le 3 octobre 1928, Il est le fils de David "Edouard" BUIRETTE, instituteur originaire d’Iwuy et de Jeanne « Lydie » HERLEM native de Béthencourt. Le couple s’installe à Bertry au gré d’une nouvelle mutation professionnelle.
Les deux sœurs de Maurice, plus âgées que lui, vont épouser des bertrésiens. L’aînée Geneviève, née en 1921, se marie en juillet 1942 à Edmond DUSSAUSSOIS résidant à Casablanca (Maroc). Quant à Odette, née en 1926, elle s’unit à Raymond LIENARD en septembre 1947.
Maurice l’idéaliste, beau militaire fièrement sanglé dans son uniforme kaki. Maurice le bon compagnon qui aime danser et chanter. Maurice le rêveur qui fredonne, avec des envies d’ailleurs, la chanson d’André Dassary « Bonsoir Lily »
Que chaque étoile au fond des cieux
T’apporte un rêve bleu.
Maurice, broyé par une guerre aujourd’hui tombée dans l’oubli et l’indifférence.
L'indochine
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la France se trouve confrontée à la volonté de plusieurs colonies qui revendiquent leur indépendance. Ce sera le cas de l’Indochine. Ce terme regroupe les pays de la péninsule, même si par la suite le terme « guerre d’Indochine » correspondra plus précisément à la guerre du Vietnam.
Celle-ci débute en 1946, après que les puissances se seront partagé le monde à Yalta, lorsque les doctrines capitalistes et communistes s’affrontent sur tous les terrains de la planète.
Malgré un accord passé entre Ho Chi Minh et le General de Gaulle, en mars 1946, la situation se dégrade rapidement car les communistes les plus intransigeants supportent mal la présence française. Les heurts se multiplient. C’est le début d’une guerre qui ne fut jamais officiellement déclarée.
Débutée sous forme de guérilla, elle devient de plus en plus frontale et directe lorsque les forces communistes vietnamiennes mettent en place, avec l’aide de la chine, une véritable armée conventionnelle.
Diên Biên Phu
Dien-Bien-Phu : j’ai lu un jour que c’était un « Waterloo asiatique » j’ai aimé l’image.
Le jeune homme s’est engagé en 1951 pour servir son pays. Une dernière photo, avant le départ, réunit toute la famille.
Je tente une identification d'après mes souvenirs d'enfance,sans aucune certitude. Photo prise impasse Jeanne D'arc : à gauche à l'arrière plan Odette puis son mari Raymond Liénard. Devant eux : Edmond Dussaussois, Blanche Dussaussois, autre personne non didentifée, les grands-parents Dussaussois, Maurice le héros du jour, sa mère Lydie Herlem épouse Buirette, Constantine Davein tenant dans les bras la petite Geneviève Liénard, son mari, Pépère Oscar Lienard. Les quatre enfants du bas: Elisabeth, Michel et Christian Dussaussois et Hervé Liénard. J'ai oublié le nom du chien.
Il appartient au DCOAC : Détachement des Commis et Ouvriers d'Administration Coloniaux. Il sert dans l’intendance. Maurice a travaillé dans la mécanique au garage de son oncle Edmond à Casablanca, mais le métier ne le passionnait pas. C'est alors qu'il fit le choix de l'armée. Une photo datée du 15 mars 1952, est légendée " remise de décoration" sans plus de précision. Maurice a-t-il intégré le RACM (Régiment d'Artillerie Coloniale du Maroc) ?
Tout cela nous mène à novembre 1953, lorsque l’armée s’empare de la plaine de Dien Bien Phu, située dans une cuvette, pour constituer un camp fortifié. Les nouveaux arrivants, consolident l’unique piste d’atterrissage aménagent des emplacements de combat, édifient des fortins en utilisant le bois de certaines habitations du village, de la tôle et des poutres, creusent un vaste réseau de tranchées et installent des mines et des réseaux de fil de fer barbelé. Le commandement n’a pas jugé la menace suffisante pour demander le parachutage de béton et améliorer la résistance des fortifications…
Des points d’appui installés de part en part protègent le camp. Ils ont été baptisés de prénoms féminins. Beatrice, Claudine, Dominique, Eliane, Gabrielle, Huguette et Isabelle. Non mais ! Est-ce que ce monde est sérieux...
Pendant ce temps, le Viet Minh fait acheminer des canons et du matériel lourd, dans les montagnes entourant la plaine, l’ensemble étant caché dans des grottes. Le piège s’est refermé sur l’armée française encerclée. Les premiers engagements auront lieu à la mi-mars 1954, l’assaut final débutera le 1er mai. Après 57 jours et 57 nuits de combat quasi ininterrompus, le camp retranché de Dien Bien Phu tombe le 7 mai 1954 à 17 h 30.
La marche de la mort.
On appelle marches de la mort des convois où les gardiens font avancer les prisonniers au mépris de la vie de ces derniers, voire en vue de leur extermination. Les marches de la mort les plus célèbres eurent lieu pendant le génocide arménien, durant la Shoah et sur le théatre du pacifique lors de la Seconde Guerre mondiale.
Une fois le cessez-le-feu signé, le décompte des prisonniers des forces de l'Union française, valides ou blessés, capturés à Diên Biên Phu s'élève à 11 721 soldats dont 3 290 seront rendus à la France dans un état sanitaire catastrophique, squelettiques, exténués. Il en manque 7 801 !
Sur ces 11 721 soldats de l'Union Française, valides ou blessés, capturés à la chute du camp, plus de 70 % décédèrent pendant leur transfert vers les camps ou une fois en captivité, de sous-alimentation, mauvais traitements, absence de soins, dans des régions propices à toutes sortes de maladies, ou furent exécutés sommairement.
Parmi eux, figure le sergent Maurice BUIRETTE. C’est donc le début d’une très longue marche de plus de 800 kilomètres pour rejoindre des camps de prisonniers hors de portée de l’armée française. Mal nourris d’une maigre ration de riz, les prisonniers avancent de nuit, souvent pieds nus, dans la jungle hostile et les marécages. Les insomnies, dues à la faim, à la gale, au béribéri, aux parasites intestinaux, et surtout à la dysenterie les transforment en une horde de pauvres diables, havres et déguenillés.
Maurice pense-t-il au pays ? A ses sœurs ? A sa mère qui l’attend ? Il est en proie à la fièvre. De plus en plus faible, il marche jusqu’à l’épuisement total. Pas de médicament pour les « mercenaires colonialistes » N’ont-ils pas été payés pour cela ?
Vae Victis ! (Malheur aux vaincus) la captivité inverse le rapport dominants-dominés, les « maîtres » se trouvent à la merci de ceux qui, hier, étaient soumis à la domination française. L’humiliation change de camp.
Porté disparu.
A un moment donné la colonne est coupée en deux, un groupe d’éclopés qui ne pouvaient plus suivre la cadence est détaché : vers le 10 juillet 1954, d’une faiblesse extrême et dans un état désespéré, le Sergent Maurice BUIRETTE est laissé sur place à Hoï Xuan avec quelques camarades dans le même état. Ces informations seront rapportées par son camarade bertrésien Guy Delfosse, dernière personne à lui avoir parlé.
Nul ne le reverra jamais.
Le chagrin d'une mère
L’armée renvoya à la famille la cantine du soldat. Sa mère, voyant en ce geste un signe d’espoir, crut que Maurice s’apprêtait à faire son retour. Lydie, dont le mari s'était volatilisé quelques années auparavant au bras d'une autre femme, dont les deux filles s'étaient mariées, ne pouvait accepter la terrible réalité de la disparition de son benjamin.
Elle écrivit maintes fois à l’armée. Était-il en vie ? Amnésique ? Prisonnier ? Et, s’il était mort, elle refusait de l’imaginer laissé sans sépulture, au détour d’une route. Elle envoya, en vain, plusieurs lettres au Ministère des Anciens combattants, réclamant le corps de son fils.
Elle fit paraîtres des articles dans la presse, en quête de témoignage, en vain. Tout ce qu’il reste de lui, hors le souvenir, c’est cette plaque apposée au cimetière de Bertry, sur le monument dédié aux « Morts pour la France »
Je remercie la famille qui m’a accordé sa confiance pour l’écriture de cet article, ainsi que pour la documentation et les photos.
Un très portrait du jeune homme exécuté à Casablanca
Epilogue
Après la parution de cet article, j’ai obtenu l’aide de plusieurs groupes qui m’ont permis de découvrir des informations complémentaires. Je les ajoute ici au fur et à mesure qu’elles me parviennent.
Maurice Buirette arborait l’insigne du 32e COMA -Commis Ouvriers Militaires d’Administration-, installé à Meknes, ville impériale du nord Maroc. Merci à mes amis du forum 39/45 une fois de plus pour leur disponibilité et leur efficacité !
Quelques photos de la garnison nous permettent de reconstituer son univers avant son départ pour le continent asiatique. Elles sont issues du forum meknez-roidelabière
Dès 1945, le Général de Gaulle avait prévu de n’envoyer en Indochine que des effectifs métropolitains. Toutefois, après quelques mois, il apparait que les troupes françaises, diminuées par la maladie, les blessures, sont insuffisantes pour assurer la bonne marche des opérations sur tout le territoire. Il faut toujours plus d’hommes or l’armée est en pleine crise, le nombre des volontaires faiblit régulièrement. Le gouvernement, qui se refuse à envoyer les appelés du contingent, fait appel aux troupes nord-africaines sur la base du volontariat. Le potentiel est énorme, les volontaires affluent, il y a deux fois plus de demande que d’offre. Il faut dire que la propagande ne lésine pas sur l’évocation d’un voyage dans un pays verdoyant, ou la population n’est que gentillesse et les filles si jolies. L’Aventure est au bout du chemin, la solde est confortable et peut-être une belle carrière. Maurice n’a-t-il pas promis à sa mère qu’il lui offrirait un manteau de fourrure à son retour…
J’ai également trouvé des photos du détachement à Hanoï. Elles se trouvent sur un site gouvernemental, vous pouvez les voir ICI
Date de dernière mise à jour : Sam 23 juil 2022
Commentaires
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- 1. elisabeth brun Le Mer 03 juil 2024
bonjour
je viens de lire l article sur mon oncle Maurice,je vous remercie pour toutes ces recherches trés détaillées.Mes frères et moi même avons passé notre jeunesse dans le souvenir de cet oncle disparu Le seul souvenir que j'ai de lui,c'est a Casablanca ou nous vivions,j'ai voulu imiter mon frère Michel qui faisait Tarzan en sautant du frigo et je suis tombée en me cassant la clavicule et c est Maurice qui s'est penché sur moi pour me secourir.J'ai hérité de ma mère Geneviève son Képi que je garde précieusement .Amicalement Elisabeth-
- Dominique LENGLETLe Mer 03 juil 2024
Maurice reste présent dans le cœur de toute votre famille. C'est Yves Lienard qui détiens le portrait que possédait "grand-mère Lydie" . Merci de ce témoignage. Amitiés, Bises.... nous ne nous sommes pas vues depuis au moins 60 ans
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- 2. Herlem Maryse Le Lun 12 juin 2023
Bonjour
Un grand merci à vous pour ces beaux et émouvants articles
Je suis née en 1951 a Béthencourt et suis la fille de Florent Herlem
Lydie La Maman de Maurice était ma tante ,la soeur de mon pére
J ai beaucoup entendu parlé de sa disparition ,mais jamais dans les détails que vous évoquez j étais très jeune
Je souhaiterai me procurer le livre ,ou le trouver
Je vous remercie de tout cœur
Maryse Herlem épouse Libert -
- 3. Jean-Christophe Le Jeu 10 nov 2022
Ça me rappelle une interview de Bigeard, qui évoquait souvent cette « marche de la mort. »
Dans cette interview, il raconte sa rencontre avec Hô Chi Minh à Paris et, avec sa manière bien à lui de parler : « Je lui ai dit, vous avez massacré des milliers de mes camarades sans raison, désolé, je peux pas vous serrer la pogne ! » -
- 4. France Dumoulin Le Sam 17 sept 2022
Quelle recherche ! vous avez du courage. -
- 5. Roger Louis Le Dim 10 juil 2022
Bravo pour ce grand livre de famille, enfin voilà du travail concret donc d'aucuns devraient s'en inspirer
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