Chez les "parigots"
Vous avez pris l'habitude, amis lecteurs, de ce rendez-vous mensuel appelé "#RDVAncestral" . C'est la rencontre improbable avec un membre de notre arbre généalogique. Exercice d'écriture et de fantaisie qui nous sort de la rigueur des données brutes.
Que l'on "vive" avec nos ancêtres n'étonne plus personne, les passionnés savent. Les autres nous ont définitivement classés parmi les doux-dingues.
Les lecteurs et spectateurs de Harry Potter savent ce qu'est un "Portoloin" : objet magique qui permet de se déplacer dans le temps et l'espace.
Mon Portoloin est ce vieux pot trouvé dans le grenier de mes grands-parents paternels alors que j'étais encore adolescente, confiturier ou sucrier, qu'importe.
Il me fait office de porte-crayon et trône sur mes bureaux successifs depuis les années lycée.
J'ai tellement l'habitude de replonger dans mon canton du cambrésis que je suis toute surprise de prendre pied en terre inconnue.
Bouche bée, les yeux écarquillés de surprise, je dois paraître particulièrement stupide. Je ne reconnais rien de ce qui m'entoure, manifestement je n'ai jamais mis un pied dans cette ville.
Face à moi un magnifique pont aux pilastres de pierres très ouvragées et aux rembardes en ferronnerie de belle facture. L'édifice enjambe un cours d'eau. Il est emprunté par de nombreux piétons.
C'est magnifique mais qu'est ce que ça pue ici. Je comprends immédiatement. Ce qui m'incommode à ce point est un édicule cylindrique peint en vert bronze, j'ai "atterri" à côté d'une vespasienne, autrement dit un urinoir municipal.
Je m'empresse de gagner l'angle de la rue occupé par une monumentale maison d'un étage. La pierre calcaire blanche dite "pierre de Saint-Maximin" et les fenêtres cintrées confèrent beaucoup d'élégance à la bâtisse. Je suis admirative. Il est vrai que dans le nord nous sommes plus habitués aux briques.
Le fronton de l'édifice m'apporte les réponses aux questions que je ne me suis pas encore posées :
Me voici donc à Puteaux, face à la mairie, l'horloge indique un peu plus de dix heures du matin. C'et alors que sortent et passent à côté de moi deux jeunes hommes qui discutent.
Ils portent la casquette et le bourgeron bleu ( courte blouse portée par les ouvriers). Il me semble bien reconnaître une pointe d'accent picard, "le ch'ti" quoique légèrement édulcoré.
Ma curiosité l'emporte j'entame la conversation.
C'est le plus jeune qui me répond, il doit avoir dans les 25 ans: Ils sont allés, son beau-frère et lui, déclarer le décès de sa mère survenu la veille, le 29 juin.
Mon ouïe ne m'a pas trompée, effectivement ses parents sont originaires du Nord, ses sœurs sont nées là-haut.
Lui est né ici, en 1874. C'est un parigot. Il s'appelle Louis PRUVOT. Son père Placide PRUVOT est mort alors qu'il était encore enfant. Maintenant c'est le tour de sa mère Anne LOUVET, 66 ans, originaire de Bertry.
Alors que mes sens sont en alerte depuis le début je redouble d'attention. En effet, si mon arbre contient bien les informations concernant cette famille, il n'y figure point de Louis. Une brindille à ajouter !
Je lui explique comment le hasard fait bien les choses, je suis justement un cousine éloignée originaire de Bertry également. La chose ne le surprend pas. Les bertrésiens sont nombreux à être "montés" à Paris, plus précisément sur Puteaux et Suresnes pour y trouver du travail.
La discussion se poursuit à bâtons rompus, je ne voudrais surtout pas avoir l'air de lui faire subir un interrogatoire. Je prends quelque notes officiellement pour rapporter notre conversation à la famille.
J'apprends qu'il est corroyeur. Il m'explique ce métier que je ne connais pas. Un peu différent du tanneur, le corroyeur (ou courroyeur) apprête les cuirs. Il leur donne la dernière préparation pour les mettre en œuvre, les teint, les amollit, les graisse.
Louis habitait jusqu'à ce jour rue Saulnier avec sa mère. Maintenant tout va changer. Un voile de tristesse passe devant ses yeux, puis un sourire : Il a une grande nouvelle à m'annoncer : il est amoureux, il a une promise : Il fréquente depuis plusieurs mois Emilie BÉHURÉ, une jeune fille de Courbevoie, il espère bien la marier avant l'automne.
Et, le plus drôle : est que son jeune cousin Aimable PRUVOT, lui aussi arrivé à Puteaux avec toute sa famille, est tombé amoureux de Julie la sœur d'Emilie. Aimable et Julie pourraient bien se marier aussi d'ici un an.
C'est alors que le comparse entre dans la conversation. Il se présente, il est le "nouveau" beau-frère de Louis : il a épousé Anne il y a moins de deux ans, après qu'elle fut veuve de son premier mari.
Il est grand temps pour moi de prendre congé de ces messieurs, j'ai tant d'informations à mettre en ordre, j'aurais trop peur d'oublier.
Je m'assoie sur un banc et m'empresse de compléter mon dossier tout en regardant les deux charmants jeunes gens s'éloigner.
C'est alors que le présent ressurgit.
EPILOGUE :
Les deux cousins épouseront effectivement les deux sœurs BÉHURÉ. Louis en septembre 1899 et Aimable en Juillet 1900.Hélas ils tomberont tous deux au Champ d'Honneur pendant la grande guerre.
Louis PRUVOT périra à Verdun le vendredi 12 mai 1916, tandis que son cousin, Aimable PRUVOT, disparaîtra le 21 aout 1918 dans les combats de l'Aisne.
- et, pour mémoire, la sœur d'Aimable, Ismérie PRUVOT sera victime du débarquement en juin 44-
Annexes : Les actes
Décès de Placide PRUVOT 1885 :
Décès de Anne Louvet 1899
Naissance Louis PRUVOT 1874
Date de dernière mise à jour : Lun 14 juin 2021
Commentaires
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- 1. Jean-Luc DUMOULIN Le Sam 19 juin 2021
Merci pour ta prose qui ne lasse de m'éblouir ! Continues sur cette belle voie. -
- 2. VERONIQUE ESPECHE Le Sam 19 juin 2021
Atterrir près d'une "pissotière" quelle idée !!!
Merci pour la découverte de ce nouveau métier :)
Chouette Rendez-vous
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