Cetait au temps ...

Georges Fruit x Aline Valet

Une enfance à Bertry

Georges et sa famille habitaient, Bertry, un petit village du Cambrésis entouré d’une campagne vallonnée fertile, presque infinie à ses yeux d’enfants.

Avec son frère Emile, de quatre ans son ainé, et les autres gamins de leur âge, ils arpentaient leur terrain de jeu, la rue du moulin, où ils étaient nés. Cette artère pavée bordée de maisons en briques rouges prolongeait la rue l’église jusqu’au passage à niveau du chemin de Maurois qu’ils n’avait pas le droit d’approcher. C’etait bien trop dangereux.

Le village avait bien changé en quelques décennies. Dans leur enfance leurs parents avaient connu les maisons en torchis, au toit de paille et les rues en terre battue.

La vie d'une famille dans un petit village du Cambrésis de la France vers 1900 était toujours marquée par  l’activité textile.  De nombreux habitant depuis plusieurs siècles pratiquaient  le tissage à domicile. La toile de lin, connue sous le nom de toile de Cambrai servait à confectionner le linge de maison tandis que les toiles fines de batiste étaient destinées à la lingerie. L’arrivée de la mécanisation dans le dernier tiers du XIXe siècle avait rendu les conditions sociales et économiques difficiles pour les artisans. Beaucoup s’étaient résolus à partir travailler en usine, d’autres s’étaient reconvertis dans la broderie, « une niche » qui permettait encore de gagner sa vie, dans le secteur du luxe. C’est le choix qu’avait fait Benoit le père de Georges.

Les années passèrent. Les deux frères étaient très dissemblables, s’ils étaient de taille similaire, proche d’un mètre soixante-dix,  leur aspect diffèrait. L’aîné,  front dégarni, cheveux châtains aux yeux bruns, un nez fort et une petite bouche qui lui donnait une « tête de musaraigne » semblait plus fragile. Émile avait des envies d’ailleurs, la broderie ne l’intéressait pas, il devint employé de bureau.

Georges, blond aux yeux bleus, visage rond, semblait au contraire respirer la santé. Au vu des poses qu’il prenait sur les différentes photos en ma possession, je dirais qu’il était beau gosse et qu’il le savait ! Georges choisit de travailler à la broderie avec son père.

Leur mère Aurore, aura toujours une tendresse particulière, protectrice, pour l’oisillon le plus fragile. Aurore etait une forte femme, dominante, pour ne pas dire dominatrice. C’est elle qui tinaitles cordons de la bourse et décidait de tout. J'ai appris par l'histoire familiale que Benoit, très proche de son frère Émile, mon arrière-grand-père, venait souvent se confier à lui.

Lorsque survint la première guerre mondiale, les deux fils de Benoit et Aurore, furent appelés sous les drapeaux. Emile ne revint pas. Je lui ai consacré un article : Emile Fruit, non-mort pour la France.

 

La Grande Guerre

Civil 1Georges Benoit Fruit 1893-1982

Extrait de l'historique :                                    

"Le 25 août, près de CLARY, le Régiment salue au passage des Belges qui émigrent par voie ferrée. Quelle détresse sur tous ces visages ! Le 26 Août, le C. C. se porte sur L'ESCAUT ; la 5ème D. C. a comme direction CRÈVECŒUR-sur-L'ESCAUT ; les autres D. C. sont à sa gauche. Il s'agit d'aider la gauche britannique (2ème D. C.) à se dégager de l'étreinte des Allemands. Le C. C. y parviendra en engageant vigoureusement toute son Artillerie contre les colonnes ennemies dont d'importants éléments sont obligés de stopper et de faire face. Le 3ème B. D. (16ème et 22ème Dragons) essaya même, après le passage du fleuve à CRÈVECŒUR, de jeter des Escadrons pied à terre. Au 22ème Dragons, le Commandant VEZY de BEAUFORT, dont la bravoure est déjà légendaire, porte son Demi-régiment (1er et 2ème Escadrons) sur SERANVILLIERS, mais à peine a-t-on posé le pied à terre qu'il faut remonter à cheval à 800 mètres du village, sous le feu d'un Bataillon de flanc-garde ennemi qui l'occupe déjà".

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Georges n'a que 19 ans lorsqu'éclate la grande guerre. Il est incorporé au prestigieux 22è Régiment de Dragons.Ce régiment créé en 1630 est considéré comme le plus ancien des régiments de cavalerie.

Pour les férus d'histoire, l'historique ici :Tableau d'honneur 22è RD

Le 22è RD est stationné à Reims. les 27 et 28 juillet 1914, les permissionnaires sont rappelés et les commissions de réquisition fournissent les chevaux nécessaires. Le 30, tout est prêt, les fourgons chargés. II n'y a plus qu'à attendre l'ordre de départ. Le moral est excellent et c'est dans le plus grand calme que les dernières opérations de détail sont exécutées.

         Peloton dragons fr

D'août à octobre 1914, le régiment sera engagé sur les frontières du Nord, en Belgique, il participera aux  Batailles de l'Ourq et de la Marne. Mais surtout il combattra à proximité de son village natal (voir ci-contre)

Le 15 Septembre, le 22ème Dragons traverse PÉRONNE, rend les honneurs au Général BRIDOUX qui, sur la grande place, regarde passer les Escadrons, et se porte au Nord de PÉRONNE dans la région accidentée de Longavesnes. Avant d'arriver à LONGAVESNES, long arrêt sur la route de PÉRONNE à CAMBRAI : coups de fusil à l'avant-garde qui règle le compte d'un détachement du Génie allemand ayant des vues sur les ponts de PÉRONNE.  En Octobre le 22è RD se portera sur la région de Lens, Arras, avant de repartir pour la Belgique et participer à la bataille de l'Yser.

Le tout début de la guerre, sur le front occidental, se caractérise par une guerre de mouvement d'août à novembre 1914, même si les premières tranchées apparaissent dès les premières semaines. Pendant cette période, la cavalerie peut théoriquement jouer son rôle : au niveau tactique elle est plus mobile que l'infanterie, au niveau opérationnel elle renseigne le commandement et reste en "flanc-garde", prête à explorer le terrain de long en large pour éviter toute surprise ou à renforcer une attaque par le flanc.

De Novembre 1914 à 1918, il faudra s'adapter à la guerre de tranchées, de nombreux cavaliers rejoignent l'infanterie, cependant le 22è RD continue de se moderniser, tant au niveau outillage qu'au niveau tenue vestimentaire.

"Ici s'arrête pour le 22ème, la première phase de la campagne. Le Régiment en sortait apparemment épuisé, ayant subi des pertes sensibles, avec des effectifs incomplets, des chevaux et des hommes amaigris, des uniformes en lambeaux et disparates, mais il avait développé au plus haut point au cours de ces trois mois et par ses sacrifices mêmes, outre l'expérience et le savoir-faire, les forces morales les plus précieuses"

En décembre est formé l'escadron à pied du 22è RD, l'abandon du cheval sera une constante de ces prochaines années "Vos Escadrons à pied, dans une tâche nouvelle pour eux, ont fait preuve des plus solides qualités. Je compte que dans l'avenir, cette Troupe d'Élite continuera à maintenir le beau renom qu'elle s'est acquis. A tout le 2ème Corps de Cavalerie, je témoigne mon entière satisfaction". 

En Août 1915, enfin doté d'un masque à gaz, le régiment entrera en action dans les secteurs de Souchez, Notre Dame de Lorette. C'est à ce moment là que Georges apprendra le décès de son frère dans un hôpital parisien. puis ce sera la Champagne.

Au débu de l'année 1917, Georges et son unité sont retirés des combats du 4 février au 23 avril : ils effectuent un rapide séjour à Paris où ils assurent, suite aux mutineries, le maintien de l’ordre en gare et dans divers dépôts sensibles.

Ensuite, ils se battront en Lorraine avant de revenir dans l'Aisne pour la reconquête du territoire.

Georges traversera toutes ces épreuves sans être blessé. Ici à Paris avec sa marraine de guerre Sophie Goupil lors d'une permission en 1916.

            Georges fruit et sophie goupil2

Après le 11 novembre

 

Grande guerre destruction bertry

 

Bertry guerre 14 18 gare

 

Georges fruit et copains

L’armistice signé, la guerre n’est par terminée pour tout le monde. Georges et ses camarades du 22e dragons participe avec la 1ère division de cavalerie à l’occupation de Sarrebruck, Bingen, Coblentz, Mayence. Il ne sera libéré que le 1er aout 1919.

 Entretemps Clary et  Bertry ont été libérés par les troupes britanniques du 5e bataillon des Scottish Rifles  les 8 et 9 octobre. Les quelques soldats allemands qui occupaient encore les villages s’enfuient.

Lorsqu’après quatre années de combats, le 11 novembre 1918, l'armistice est signé vers 5h30 du matin dans un wagon du train d'état-major du maréchal Foch, à Rethondes, en forêt de Compiègne, marquant l’arrêt à 11h00 des combats, la population n’explose pas de joie.

La nouvelle est certes attendue depuis des années. Mais elle a été maintes fois anticipée et ces espoirs si violement douchés font qu’au final on n’ose presque plus y croire. Alors, soulagement oui, joie non. Toutes les familles sont meurtries dans leur chair, les villages détruits et le conditions de vie resteront très difficile jusqu’en 1920.

De retour dans son foyer familial, Georges va devoir affronter le désespoir de sa mère qui ne se console pas de la perte du fils aîné. Il lui faudra quitter bien vite ce milieu toxique pour ne pas tomber lui-même dans la culpabilité du survivant.

 Il est jeune, la vie reprend le dessus, les amis, les amours.... Aline

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La famille Valet Lagouge

Aline née le 24 avril 1894 est née à Maurois de Jean-Baptiste Valet et Eudoxie Lagouge son père exerce le beau métier de tailleur d’habits. À leur mariage, sa mère, dévideuse, travaille dans l’industrie textile. Aline grandit avec un frère, Jean Baptiste, de cinq ans son aîné, qui sera charcutier. Aline travaillera comme repasseuse auprès de son père.

La famille Valet arrive à Bertry, à une date indéterminée entre 1906 et 1910. Ils sont absents du recensement de 1906, mais la fiche matricule de Jean-Baptiste les localise au village en 1910. Je ne les ai pas trouvés à Maurois. Il n’est pas impossible qu’ils aient vécu un temps à Homblières dans l’Aisne, d’après le souvenir de leur petit fils.

Le jeune Jean-Baptiste ne reviendra pas de la guerre. Il est tué au chemin des Dames en juin 1917. Voir :Jean-Baptiste Valet

Aline et Georges se connaissaient-ils avant la guerre ? Ils ont presque vingt ans quand le conflit se déclare. Dans un petit village comme Bertry les deux jeunes gens se sont forcément croisés un jour ou l’autre.

Aline, jeune femme gracieuse, vêtue d’une tenue légère à la mode de l’époque et coiffée avec élégance, et Georges, jeune homme au regard pétillant et bien fait de sa personne, avaient-ils alors conscience de la beauté éphémère des instants vécus ? Nous n’en savons rien. Nous n’avons pas trace d’une quelconque correspondance entre eux pendant les cinq ans de la guerre. Toutefois, leur mariage, trois mois après la libération du soldat, laisse à penser que leur idylle n’est pas née à l’été 1919 et que leur rapprochement ne vient pas du seul fait qu'ils ont tous deux perdu un frère dans cette boucherie .

Le lundi 17 novembre 1919, ils se promettent de ne jamais laisser le monde extérieur interférer avec leurs rêves. Ensemble, ils s’engagent à construire une vie pleine de promesses dans cette ère dynamique, les années folles, où l’on pense avoir vécu « la der des der ».

Aline valet 22

Aline vale 2t

L'après guerre

 

Loucheur dommages de guerre

Les années de l’immédiat après-guerre furent difficiles. Après quatre années d'un conflit brutal qui avait sacrifié toute une génération et détruit beaucoup de ses richesses, la France devait se réorganiser.

Les bouleversements liés au passage d'une économie de guerre à une économie de paix contribuèrent à la dépression de 1920 - 1921.   Les régions Nord et Est, situées en zone de front et d'occupation, furent plus durement touchées : L'occupant avait méthodiquement démantelé l'industrie et les champs de bataille avaient ravagé l'agriculture. Dans ces deux régions se relever prendrait plus de temps qu'ailleurs. Monsieur Louis Loucheur, député du Nord, fut nommé "Ministre des régions libérées". Il fit, en 1921, une grande tournée dans l'arrondissement de Cambrai.

S'agissant de la reconstruction du pays,  les sinistrés touchaient chaque année un septième de leurs dommages pendant sept ans . Dans chaque village fut créé un "comité de reconstruction" pour la réédification des maisons détruites. Cependant, les commissions d'indemnisations, considéraient l'outil de travail des artisans du tissage et de la broderie, comme des objets mobiliers, n'ouvrant pas droit à l'indemnisation de reconstruction. Cela constituait une menace de ruine définitive et la mort de cette industrie familiale.

Une nouvelle famille

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Ce sont peut-être les circonstances économiques qui pousseront Georges et Aline à attendre avant de procréer. Leur premier enfant Jean, naîtra à Bertry trois ans après leur mariage, en décembre 2022.

C’est à cette époque qu’ils décident de prendre leur indépendance. Ils partent habiter Caudry ou ils installent un petit atelier de broderie rue Julien Rassel.

En 1924, la famille s’agrandit avec l’arrivée de Paule, que tout le monde appellera Paulette, puis quatre années plus tard, c’est un petit Emile qui viendra compléter le tableau.

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Entretemps, Eudoxie Lagouge, mère d’Aline, meurt le 1er mai 1927.

En 1935, C’est Georges qui perdra son père et sa mère à quelques mois d’intervalle. Ils habitent toujours Bertry. Benoît serait mort accidentellement, des suites de ses blessures après avoir été encorné par un bovin dans un pré où il cherchait des champignons. Aurore la mère incapable de vivre seule viendra s‘installer chez ses enfants à Caudry mais mourra quelques mois plus tard.

Jean-Baptiste Valet vivra seul, à Bertry, encore pendant de longues années. Après la seconde guerre mondiale, ses enfants le prendront chez eux à Caudry, où s’éteindra en 1952 à l’âge de 92 ans, après avoir eu la chance de faire la connaissance de trois arrière-petits-enfants.

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   2014 09 09 114127 1Famille valet lagouge Jb valet eudoxie lagouge 12014 09 09 114127

Georges sera à nouveau mobilisé en 1939 ( avec le casque à l'extrême droite)

Georges mibilisation 1939

 

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Aline décède en 1968, à l'age de 74 ans. Georges décède en 1982 à l'age de 88 ans. Le couple a 5 petits enfants.

Fruit georges

 

Un peu de généalogie

Georges fruit

Georges est le cousin germain de ma grand-mère Gabrielle Fruit épouse de Marc Lenglet.

 C'est en découvrant sa photo chez mes grands-parents, que j'ai commencé, à l'adolescence à m'intéresser à la généalogie familiale.

Georges est né à Bertry le 28 janvier 1893 de Benoit et Aurore Bricout. Il est le cadet, son fère Emile a 4 ans de plus que lui.

Date de dernière mise à jour : Jeu 31 oct 2024

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