Cetait au temps ...

Henri Lenglet, Mandrin bertrésien

L'art de filer à l'anglaise

Mercredi 27 juin 1906. Le 2e classe Henri LENGLET ne réintègre pas son casernement du 69e Régiment d’Infanterie à Nancy. Il faut se rendre à l’évidence : le soldat LENGLET a pris la poudre d’escampette. En langage militaire, il a déserté.

Officiellement, il avait obtenu une permission pour assister au mariage de sa sœur Joséphine — dite « Marie » — avec un certain Jean-Jacques POULAIN, célébré le 9 juin à Bertry, dans le Nord. Jusque-là, rien à signaler. Mais au moment de remonter dans le train, notre Henri a dû penser que la vie civile valait bien l sacrifice de quelques galons.

 

Enfance à Bertry

Henri et Joséphine sont orphelins de mère. Leur maman, Joséphine LEFEBVRE, est morte prématurément à l’âge de 26 ans, à Puteaux, où le couple s’était installé quelque temps. Tisseurs à l’origine, ils avaient quitté Bertry pour tenter leur chance dans les Hauts-de-Seine. Henri père s'était reconverti : il était devenu cocher à Neuilly, sans doute au service d'une famille aisée. Dans ces maisons bourgeoises, les domestiques étaient logés sur place, dans une soupente discrète sous les toits, et n’avaient pas le droit d’y accueillir leurs enfants.

C’est ainsi que les petits furent confiés aux bons soins de leurs grands-parents maternels, Louis LEFEBVRE et Rosalie LOUVET, rue du Moulin, à Bertry. Quant au père, il refera sa vie quelques années plus tard : en 1902, il épouse la cuisinière de la maison, elle aussi employée domestique.

Josephine marie lenglet 1906

Mais où est donc passé Henri ?

Un matin de juin, un képi est retrouvé dans un champ, du côté de Busigny. Abandonné, solitaire.

Les pandores, perplexes, battent la plaine. En vain, personne ne sait rien, personne n'a rien vu. On n'est pas bavard au village...

En août, alors que les moissonneurs s’affairent, on exhume du même champ une tunique et un pantalon garance — fort voyants, pour des habits censés échapper à tout regard.

Mais pourquoi ce Petit Poucet  a-t-il semé ainsi son uniforme ? Pourquoi ne pas avoir enterré le tout discrètement, au pied d’un arbre dans le bois de Gattigny ? On croirait presque qu’il a voulu brouiller les pistes tout en les laissant bien visibles…

Au village on rit sous cape. "Mazette ! les pandore se sont bien fait farcer". L'oiseau s'est bel et bien envolé, on restera sans nouvelles de lui pendant deux longues années.

Les pandores moustachus au bicorne et  bottes noires, attributs de virilité  indispensables aux gendarmes de l'époque.

 Les pandores

 Le 10 juin 1908,  coup de théâtre : Henri se présente à son régiment pour se constituer prisonnier. Il explique avoir voulu travailler pour subvenir aux besoins de sa maîtresse et de leur enfant (dont on ne trouve nulle trace). Mais c’est le conseil de guerre qui l’attend.

Las ! Dans les geôles de l’armée, Henri gamberge. Et visiblement, la gamberge lui est mauvaise conseillère : le 23 juillet 1908, profitant de l’inattention du caporal de garde, il prend à nouveau la tangente.

Le voilà doublement déserteur.

Mais qu’a-t-il bien pu faire tout ce temps ? Du commerce... façon Henri.

Lenglet henri deserteur

Contrebandier avec la Belgique, il s’était fait une spécialité du « libre-échange » à la frontière, au nez et à la barbe des gabelous, ces douaniers qui, munis d’un sac de couchage en peau de mouton et d’un lit pliant, montaient la garde dans les champs, de nuit, pour traquer les fraudeurs.

Le tabac passait, certes, mais aussi — plus étonnant pour nos esprits modernes — les allumettes dont l'état avait le monopole depuis la loi du 2 août 1872. La contrebande, vous le voyez, ne se pratiquait pas uniquement sur des marchandises de très grande valeur, mais sur tous les produits frappés d'un impôt indirect.

La taxe sur les allumettes ne cessera d'augmenter jusqu'à sa suppression en 1914.

Henri lenglet deserteur

ma maturité et la sagesse

Henri, lui, sera finalement condamné à une peine relativement clémente : six mois de prison. Peut-être avait-on fini par le trouver attachant, ce filou ?

Je perds ensuite sa trace durant la Grande Guerre — mystère sur son parcours de 14–18, je ne suis pas parvenue à trouver sa fiche matricule — pour le retrouver en 1920, plus apaisé, semble-t-il.

Le 21 janvier de cette année-là, à Frasnoy, Henri épouse Louise LEBRUN, une jeune femme qui lui donnera deux enfants. Une autre vie commence, loin des pantalons garance, des sentiers de contrebande et des képis envolés.

Henri LENGLET s’éteindra paisiblement à Frasnoy, le 26 février 1961.

 

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Date de dernière mise à jour : Ven 21 mars 2025

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Commentaires

  • aline lenglet
    • 1. aline lenglet Le Ven 12 mai 2023
    J'aimerai connaitre l'auteur de cette histoire

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